Pour ceux qui ignorent ou nient le phénomène, petite piqûre de rappel.
Pendant ma formation pour devenir professeur d’anglais, j’avais une professeur qui se bornait à nous dire qu’il n’y avait pas de norme, que chaque élève avait sa propre norme et que vouloir les former selon des idées préconçues ne mènerait à rien. Assez compliqué pour des futurs professeurs d’imaginer qu’il n’y a pas de normes et qu’il fallait composer avec chaque personnalité de chaque élève. Pas facile, vous admettrez – mais cela fera l’objet d’un article tout autre.
Pas de norme : aucune référence.
Suite à cela, j’ai réfléchis à ces termes. Pas de normes. Je me suis aussi rappelée de toute mes années collège-lycée, pendant lesquelles j’étais tout sauf « dans la norme ».
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Un sujet qui me tient à cœur parce que …
Depuis que je suis entrée au collège, on a commencé à me qualifier de hors de la norme. À onze ans, je ne savais pas vraiment les conséquences que cela allait avoir sur moi. Il y a dû avoir des signes avant mais l’élément déclencheur dont je me souviens c’était la visite médicale obligatoire de sixième. Je me souviens de l’infirmière qui, à une gamine de onze ans, avait jugé bon de dire que je n’étais pas dans la courbe normale, en parlant de mon poids. Je pense que, sur le coup, je n’ai pas vraiment relevé. J’avais dû en parler à mes parents. Je pense que pour eux, cela avait dû avoir une toute autre résonance – surtout pour ma mère comme elle avait, soi-disant, eu des problèmes de poids dans son enfance.
Au moment où mon poids a commencé à évoluer de façon exponentielle, mes formes classiques se sont développées. Quand je raconte à des amis qu’en cinquième je faisais déjà du 95D et que j’ai mis deux ans à dire à ma mère que je l’avais dépassée en taille de soutien-gorge, ils hallucinent. Surtout qu’au début, je ne voulais pas mettre de soutien-gorge. Maintenant, je me demande ce que je ferais sans.
Au début de ma cinquième, je devais déjà commencer à être en surpoids évident, ou en tout cas avec des formes plus développée que les autres. À l’époque – 2003/2004 – on ne parlait pas beaucoup de harcèlement, encore moins de harcèlement scolaire, sujet alors encore tabou. Je ne saurais dire avec force précisions de dates ou autres quand ça a commencé précisément mais, encore une fois, pour moi, l’élément déclencheur est que, une fois, alors que j’étais à la cantine, des anciens copains à moi ont cassé mon sac. Tout simplement. Ils l’ont accroché contre une barrière, ont tiré et une des bretelles a cassé. Sans rien me dire naturellement. Bien évidemment, j’en ai racheté un – enfin mes parents. Comme je voulais être comme tout le monde, j’ai pris un Eastpack. Peine perdue, ça a été le début de ma longue descente vers les entrailles du harcèlement.
En quatrième, j’ai eu la bonne idée de me lier d’amitié avec une fille qui était déjà plus ou moins paria dans le collège. L’aurais-je su peut-être me serai-je tout de même liée d’amitié avec elle, comme une sorte de soutien, entre paria. Ce qui m’a plus ou moins enfoncé dans mon rôle pré-désigné par mes camarades. Durant cette année là, je ne me souviens plus très bien de ce qu’ils me faisaient mais je crois que c’était encore assez soft. Des petite moqueries et je me disais : « rien de bien méchant ». Je voyais sans doute là une sorte de reconnaissance de mon existence à travers leurs moqueries et je me sentais faisant partie de mes pairs. Pour ne rien arranger, c’est cette année que j’ai commencé à voir une diététicienne qui ne s’est avéré d’aucune aide. Elle ne m’expliquait rien des raisons pour lesquelles j’avais pris autant de poids en si peu de temps – de mémoire, dix kilos en l’espace d’un an. J’avais d’ailleurs fini par stopper de la voir, sans vraiment la prévenir. Et ensuite, j’en rigolais.
Troisième. L’année noire. L’année de la déchéance complète. L’année de la rébellion. Quinze ans, le début des années rebelles. Dans mon cas, la continuité des années rebelles. À la suite de mes débuts de problèmes de poids, ma mère et moi ne nous entendions plus. Une discorde continuelle sur mes prises de poids et ses tentatives de régime n’embellissait pas le tableau. Et dans cette entité discordante, mon plus grand frère était parti, mon autre frère ne disait rien et mon père était inexistant, préférant – selon mes yeux de l’époque – se cacher devant sa télé ou derrière sa surdité. Et je ne disais rien, je n’en parlais pas. Je n’osais pas. Je ne sais pas si je ne voulais pas ajouter au plateau ou juste si je ne savais pas comment le dire. Il faut aussi dire qu’à l’époque, je ne savais pas vraiment que j’étais harcelée. Pendant les années formatrices – surtout le collège – j’ai remarqué que beaucoup d’adolescents, moi y comprise, préfèrent se dire qu’ils ne sont pas différents des autres; ils préfèrent nier la réalité. Sans doute parce que c’est plus simple. Pendant longtemps, je passais simplement ma carte à la cantine puis je désertais le collège pour aller chez une amie et je revenais, à 13h30, pour le début des cours, comme si de rien était. J’avais 15 ans, je ne me rendais pas compte des conséquences que mon comportement pouvait avoir. Je me suis faite chopée, d’ailleurs – bien fait pour toi, avait dit ma mère. Et je n’ai plus eu le droit de sortir dehors pendant la pause déjeuner. C’est là que tout a vraiment commencé. Ils étaient plusieurs et ils se moquaient de moi, à longueur de temps, tous les midi, pendant une heure et demie, moquerie, sur moquerie, sur moquerie. Ils m’avaient prise en grippe pour je ne sais pas trop quelle raison. J’avais l’impression qu’ils me détestaient mais je ne savais pas pourquoi. S’ajoutait à cela le fait qu’une peste de ma classe avait découvert de qui j’étais amoureuse : redoublement des moqueries car il était beau et inaccessible pour une paria comme moi. Un jour, je me souviens que j’ai failli aller tout dire au CPE mais, par peur de représailles, je me suis écrasée. Toute la journée, on me traitait de paria, de moche, de grosse, d’obèse, de saleté et je rentrais chez moi et j’entendais ma mère me sortir qu’elle avait entendu parler d’un nouveau régime ou qu’elle aimerait bien que je fasse attention… En ces temps reculés, je la haïssais.
Au moment de partir au lycée, la situation s’est un peu apaisée. J’arrivais dans un lycée qui ne comportait presque aucune personne de mon ancien collège – le choix du lycée avait laissé ma mère un peu dans l’embarras car elle aurait voulu me voir aller dans un lycée plus « prestigieux » mais j’avais mes raisons et elle avait respecté mon choix. Elle ne savait pas que je voulais éviter les autres à tout prix, que je ne voulais plus subir leurs méchancetés, leur quolibets, leurs vannes nases. Début d’une nouvelle aventure : le lycée, le moment de débuter ma vie. Surtout le début de renouveau, de mettre derrière moi tout ce que j’avais subi au collège et me trouver une place. Mais quelques mois après la rentrée, j’ai à nouveau été victime de discriminations, sans doute basées sur mon poids. Je fais partie de ces personnes qui ont toujours été choisies en dernier en cours de sport, avec qui personne ne voulait se mettre en travail à deux sauf pour avoir des bonnes notes, de laquelle on parlait alors que j’étais juste à côté. Ces genre de personnes souffrent. Ce genre de personnes, c’est les personnes qu’on regarde sans les voir, à qui l’on parle sans les écouter, à côté de qui être est une punition. Je le sais parce que,sans réfléchir, j’ai moi-même été une partie de cette folie qui s’acharne sur des gens, sans raison. Étant moi-même prise en grippe, longtemps après je m’en suis voulue. Mais le lycée et le collège ont cet effet pervers sur les jeunes : le besoin d’être accepté à tout prix passe par le panurgisme poussé à l’extrême. Je sais maintenant que je n’avais pas de personnalité avant d’arriver à la fac et de commencer à me trouver. J’ai mis du temps, beaucoup de temps, mais le temps qu’il fallait pour que je me cherche, pour que je me trouve et que je sois bien dans ma peau. Le travail est LOIN d’être terminé, mais j’ai parfois l’impression en me lançant dans des projets de faire avancer ma vie, lui donnant, quelque part, un sens, une existence. Et comme disait Sartre, l’existence précède l’essence.
Je digresse. Le lycée. Ma seconde a été rythmée par des moqueries ouvertes par d’anciens camarades de collège ou des nouveaux. Je pense que c’est là qu’a commencé le cyber-harcèlement. 2006 : l’avènement de MSN et de Skyblog – je n’ai pas échappé à la tendance, surtout avec mon goût pour l’écriture – puis, plus tard, Facebook. Si sur MSN, c’était calme – je pense que ça commençait à être le déclin – je me suis faite critiquée ouvertement sur Skyblog – le mien et celui de mes copines. Traitée de tous les noms. Humiliée. Souillée. C’est vrai que, quand on vit ça, ado, je pense qu’on a tendance à faire comme si cela n’arrivait pas, parce que sinon c’est un aveu de faiblesse.
En première, j’ai commencé à connaître le déclin scolaire. La filière scientifique n’était pas pour moi, je n’étais pas bonne en math ni en SVT. En fin de mon année, cumulant les mauvaises notes et en planant vers le 7-8/20 de moyenne dans les matières scientifiques, j’ai voulu changer de filière. Après rendez-vous, avec ma professeur principale, il a été convenu que, comme j’étais une quiche en français, je redoublerais, en S.
Cette même année, j’étais convoquée dans le bureau de l’intendante : je n’allais pas à la cantine. Effectivement, je n’y allais pas. Le lycée, c’est l’endroit où on peut sortir quand on veut et j’avais découvert ce plus indéniable, surtout pour échapper aux autres. Mais ma carte n’étant jamais passée à la cantine, l’intendance a vite fait le lien. Je devais en parler à mes parents. Je me souviens que ma mère est rentrée en rage ce soir-là. Elle est entrée dans la cuisine, où je me trouvais avec mon père. J’avais décidé de leur dire après le repas, au calme. Elle a hurlé que je ne foutais jamais les pieds à la cantine – elle était passée au lycée pour quelque chose et en avait parlé à la CPE – et a tout de suite pensé que je ne dirais jamais rien. J’ai rétorqué que je comptais leur en parler après le repas. Elle voulait des explications. J’ai fondu en larmes en disant : « je vais pas à la cantine parce que je suis une proie facile, je suis toute seule et ils se moquent de moi. C’est plus simple quand on n’a pas d’ami ». Je me souviens avoir vu dans les yeux de ma mère beaucoup d’incompréhension, la colère de leur avoir menti était encore présente, mais autre chose. Je ne savais pas trop quoi. Je crois que cela commençait à germer dans leur esprit que je n’étais pas la plus rebelle de leur trois enfants pour rien, mais je ne peux pas savoir.
Le début de mon année de redoublement a été un boost certain pour mon égo – j’ai toujours été assez égocentrique sans trop le montrer. Mais je sais que c’est un soucis que je traîne avec moi. J’étais celle qui savait comment c’était la S et je me suis rapidement sentie assez bien dans ma classe, je me suis rapprochée de certaines filles et j’avais l’impression, pour la première fois de ma scolarité de faire partie du groupe. Le seul couac, c’est que mes deux amies qui me restaient du collège et avec qui j’ai traversé ces passes difficiles – comme j’ai pu – ont redoublé également et que j’étais du coup toujours avec elles. Mais je le disais, cela ne m’a pas empêchée de me faire des amies, ou plutôt des copines. J’ai même, pendant cette année, fait deux ou trois soirées chez moi ! Fou à imaginer pour moi.
Seulement au fur et à mesure de l’année, les vieilles habitudes des autres ont repris et mes nouveaux camarades, pourtant plus jeunes, ont commencé à trouver des prétextes pour se moquer de moi. Joie. Le retour du mal être, encore trop à vif pour être vraiment parti.
Mon année de terminale, j’avais l’impression d’avoir la poisse de la dernière année. Elle n’était pas aussi noire que mon année de troisième mais assez pour gagner la palme de ma pire année de lycée et de loin.
Pour commencer, les deux première S du lycée avait été coupées en deux et redispatchées dans les deux TS qui suivirent. Je pense que cela partait d’un plan logistique basé sur la spécialité choisie par les élèves. Dans une TS spé SVT et demi spé PHCH (ma classe) et dans l’autre spé maths et l’autre moitié de la spé PHCH. Ce qui partait d’une bonne idée logistique a engendré un revers terrible : la création de clans dès le premier jours – les anciens S3 et les anciens S4. Joie, bonheur et gaieté. Et à mesure de l’année, une fille m’a prise en grippe et ne m’a pas lâchée. Elle m’a humilié dès qu’elle le pouvait. Elle a su que j’avais un béguin pour un gars de la classe et elle s’est rapprochée de lui, me narguant au passage. Je me souviens que, les rares fois où il me parlait, elle lui disait « bah, tu fais quoi, là? » Sous entendu : tu fais quoi à lui parler à elle, cette pauvre fille qui ne vaut rien. Elle a pris un malin plaisir à me faire souffrir, comme tous les autres avant elle. J’étais résignée et je savais que je ne la reverrais jamais. Une fois de plus, j’ai laissé coulé. J’ai eu mon bac.
En rentrant à la fac, je me suis dit que tout ça, c’était derrière moi, bien loin derrière. J’ai décidé de partir du bon pied. Je me suis fait une amie – je n’ai jamais ressenti le besoin d’en avoir mille non plus – et j’ai commencé mon année comme tous les gens à la FAC : en n’en foutant pas une. Là où ça a commencé à se gâter c’est quand j’ai chopé deux meufs de mon cours d’Italien en train de tricher pendant les exams. Alors qu’on était passé au second semestre, on parlait des partiels avec un des deux meufs et je lui ai demandé : « t’avais pas peur de te faire choper ? » Elle a nié avoir jamais triché. Je ne me souviens pas en détail mais à partir de ce moment là, elle a essayé de mettre tout le monde contre moi.
En seconde année, nous étions séparées. J’ai rencontré ma meilleure amie et j’ai commencé, doucement, à refaire confiance aux autres et j’ai évolué.
Aujourd’hui et pour toujours, toute cette histoire, je la traîne avec moi. Je ne la mettrais jamais VRAIMENT derrière moi. Je sais qu’une partie de moi croira toujours les autres, que je ne suis pas assez bien, pas assez belle, pas assez parfaite pour que quelqu’un m’aime un jour. Je sais que cela restera toujours en moi. Toujours. Je serai à jamais la fille qui est presque sympa. Presque.
Vers la fin de mon année de seconde, et ce pendant dix ans après, j’ai commencé à voir une psy. Ça m’a beaucoup aidé. C’est elle qui m’a fait comprendre que l’on m’avait harcelé au collège, même si je ne voulais pas, à l’époque, référer à cela en ces termes. Harcèlement = victime et, à 16 ans, je ne voulais pas être vue comme un victime. J’ai mis deux ans à accepter ce que j’avais vécu et à pouvoir dire : « Oui, j’ai été harcelée ». Je ne m’en plains pas. Je suis forte de tout ce que j’ai subi et vécu et je sais que cela a forgé qui je suis aujourd’hui. Je ne serais pas la même sans toutes ces épreuves.
Pendant la rédaction de cette article et avec tous les souvenirs qui remontaient alors, je me suis tournée vers ma mère et je lui ai demandé si elle soupçonnait quelque chose. Comme il y a deux ans, trois ans, cinq ans, elle m’a répondu qu’elle n’avait rien vu. Je pense qu’elle se sent coupable parce qu’elle m’a dit qu’il y avait quand même des signes que je ne voulais pas aller à l’école. Mais bon, elle n’y a pas prêté attention et je ne lui en veux pas. Je sais, pour l’avoir vécu, qu’il n’est pas facile pour les enfants victime de harcèlement de le dire.
Mais osez.
Levez vous.
Et parlez.
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C’est un sujet très sensible, encore aujourd’hui. Pas seulement pour moi et pour les milliers de gamins, jeunes, adolescents qui ont subi ce genre de choses. Le harcèlement, surtout scolaire, est vicieux et encore aujourd’hui, on en parle peu.
Bien sûr, des campagnes qui ont vu le jour depuis mes années collège/lycées mais je pense que c’est beaucoup trop ancré dans les jeunes et dans la société : ces normes qui pourrissent tout. Ces normes qui poussent les jeunes à tout catégoriser. Et à mettre à l’écart ceux qui ne rentrent pas dans LE moule. LE moule pour former des individus parfaits, complémentaires, « normaux »… LE moule dans lequel, inconsciemment, je n’ai jamais voulu entrer. Celui dont je me fichais mais qui est le Grââl pour la plupart des adolescents. LE moule dans lequel je ne veux toujours pas entrer.
Il y a un film qui explique plutôt bien le phénomène : Cyberbully. Je sais que c’est un drame mais je pense qu’il existe une part de vérité dans les actions. Et oui, cela peut aller jusque là. Lien : https://www.youtube.com/watch?v=be6gjjWdUw4
J’ai aussi subi le harcèlement dans mes jeunes années, pas à cause de mon poids mais probablement de ma naïveté et du fait que je faisais facilement confiance aux mauvaises personnes… Je te conseille la série 3 Reasons Why qui parle aussi des conséquences du harcèlement, des petits actes qui mis bout à bout peuvent avoir des conséquences dramatiques
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Ouais c’est ce que j’ai compris, je la commencerai d’ici peu je pense !
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[…] question : la norme – toujours la norme (comme ICI et LA) – c’est quoi ? Y a-t-il seulement une norme ? Existe-t-il une […]
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[…] j’en parlais dans cet article, je n’ai pas eu la meilleure des relations avec ma mère en grandissant. Je l’ai pas […]
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[…] de poids, alors ça n’aidait pas à aller mieux. Et puis j’ai commencé à me faire harceler et ça a été de pire en pire. Non seulement ma confiance en moi était attaquée à […]
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[…] d’autres sujets que je voulais partager. Mais j’avais tort. D’ailleurs, avec le troisième article du blog, je voulais vraiment raconter mon histoire, mon histoire avec le harcèlement. Mais je ne me […]
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