
La présentatrice du journal continuaient sur des constats tout aussi alarmistes, parlant de vols de plus en plus fréquents, notamment dans les grandes villes. « C’est aussi une maladie qui frappe les petite ville, nous retrouvons notre correspondant Jérôme Dupont, en direct dans une petite ville de la Lozère ». Carte de France. Vers le milieu. « Il y a quelques temps, les habitants vous auraient dit bienvenue à Jouasnier sur Boyon. Maintenant, on ferme ses volets, on évite le regards des autres et on ne parle pas aux journalistes. Nous avons tout de même pu avoir le témoignage de Solange, la boulangère… » Le reportage – s’il en est – s’enlisait encore, en fond.
Mathieu, assis dans le fauteuil, commençait à piquer du nez. Combien de reportages débiles avait-il vu sur ce genre de choses ?Bien évidemment depuis que la démocratie était morte et que l’on avait inventé un nouveau système politique sans dirigeant, c’était la porte ouverte à toutes les fenêtres, comme aurait dit sa grand-mère – paix aie son âme, elle n’avait pas vécu assez longtemps pour assister à ce massacre.
Cela faisait dix ans que la France – mais pas que – sombrait peu à peu dans la loi du plus fort : celui qui fait le plus peur, celui qui a le plus à manger, celui qui sait le mieux tuer. La France avait alors été modèle de ce nouveau système – un modèle dont on se serait bien passé, pensait rétrospectivement Mathieu. Plus d’élections, plus de souveraineté du peuple, plus rien de fait et pensé par et pour les humains. On avait inventé une machine et on l’avait mise à la tête du pays. Le pire dans l’histoire c’était que les deux ou trois premières années, la qualité de vie avait considérablement augmentée. Le pays un jour souverain était en passe de revenir à son apogée. Dirigé par une machine, c’était un bien triste constat. Beaucoup s’en accommodaient.
Et puis, les bugs ont commencé. Enfin, ce que tout le monde a d’abord voulu prendre pour des bugs. Après tout, la machine n’était que cela, une machine. Aléatoire, sans réflexion. Au bout de trois nouvelles années, le pays était revenu au point de départ, sinon en arrière. Personne n’était avantagé. Tous tentaient de réparer le programme mais il était d’une complexité telle que personne sinon son créateur n’était capable de le réparer. Sept ans après la mise en place, il fallait voir la vérité en face : l’ancien système aussi défaillant fut-il (parce qu’humain) était tout de même mieux que cent pour cent d’inflation en l’espace de deux mois.
Des marches avaient alors vu le jour dans tout le pays. « Débranchez la machine » fut un slogan entendu presque partout en France pendant des mois. Un homme prit la décision de le faire. Grave erreur. La machine possédait des panneaux solaires, de quoi tenir tout une vie. Le problème étant que personne ne savait comment revenir. Et la machine restait souveraine, selon ce que la constitution édictait.
Sept ans sans prendre aucune décision, cela laisse une marque. Une marque quasiment impossible à enlever. L’humain est si bien fait qu’il se complaît dans la facilité. Ne pas avoir à voter ou à apprécier ou non un homme politique lui a permis d’avoir une nouvelle place mentale qu’il n’avait pas précédemment. Alors personne ne se dresse contre ce tas de ferraille, sans doute fait de bric et de broc, comme le disent les dissidents. « Réfléchissez » est devenu leur mots d’ordre. Mais dans une société où tout est connecté, comment prendre le temps de réfléchir ?
Une heure plus tard, Mathieu se lève de son fauteuil. Le journal a disparu et un téléfilm digne des années 2040 passe à la télé. Il soupire mais n’éteint pas le poste. Cela lui fait une compagnie. Depuis sept ans, il vit reclus, en haut d’une montagne. Une fois dans le mois, il va au bourg le plus proche, achète des aliments congelés ou bien secs et repart là haut, dans sa montagne. Il n’a jamais eu besoin de beaucoup manger.
Il a fait le nécessaire pour capter la télé. Elle est allumée en permanence.
Il sort, son chien derrière lui. Il a tout de même fini par craquer. Un berger allemand, sa race préférée. Il a aussi deux chats, qui viennent lui faire des câlins de temps en temps – sans doute quand ils ont faim. Mathieu se rend dans le petit cabanon, au bord de la falaise. Le chien ne le suit pas. Les animaux savent que, quand il y va, ils ne sont pas autorisés.
L’homme à la barbe rousse regarde les écrans devant lui. Ils sont tous allumés, les voyants au vert. Il s’assied et attrape une des nombreuses boites de pop-corn qu’il a acheté. Mieux que la télé, la vraie vie.
Il y a vingt ans, quand il a commencé à dessiner la machine, il ne pensait pas que cela prendrait une telle ampleur. Il ne savait pas qu’il avait entre les mains un pouvoir colossal et que ce pouvoir dépasserait le stade ne serait-ce que de sa chambre. A vingt ans, étudiant en informatique, comment se douter que, dix ans plus tard, il aurait réussi à faire un tel bijou de technologie qu’il serait capable de prendre la tête du pays ?
Quand, au résultat de l’élection, la machine était arrivée première, il avait sauté de joie puis s’était demandé quel allait être son rôle dans tout ça. Il en était l’inventeur, certes, mais le fait de le présenter à une élection présidentielle était avant tout parti d’une blague. Les signatures, c’était lui qui les avait récolté. Quelque part, c’était alors lui qui était devenu président. Une première pour un gamin qui venait d’un milieu populaire et qui n’avait réussi sur rien d’autre qu’une blague et des circuits connectés.
Arrivé au Palais de l’Elysée avec la machine, la première qu’on lui avait demandé était de prendre une décision par rapport à la « situation ». Impossible. Alors la machine avait décidé. Et avait décidé de changer la constitution. Après tout, elle en avait le droit. Le premières mesures tombèrent, on connaît la suite.
Mathieu, lui, était l’intendant. Il veillait à ce que la machine fonctionne correctement. Il faisait son travail avec application, une nouvelle application. Il gagnait bien sa vie, ne se plaignait pas. Au bout d’un an, il eut assez de liquidité pour acheter un chalet dans les Alpes, reclus de tout et de tous. Deux ans plus tard, il quittait précipitamment Paris et se cachait dans son chalet.
Ce que personne ne savait, c’était que tout ce qui était en train de se passer était le but ultime de Mathieu. Le retour à un monde plus simple, sans dirigeant. Un monde où, finalement, tout le monde est égal. Génie en informatique, il avait vendu sa machine aux plus grand de ce monde. Ce que personne ne savait, c’était que seul lui possédait les codes pour les faire marcher. Lui seul savait les rouages de ce joyau.
Il aimait le pouvoir. Et il l’avait. Il suffisait d’une ligne de code entrée au bon endroit pour faire chuter ou rebondir un pays. Les bugs n’en étaient pas. C’était uniquement Mathieu qui se battait contre son propre pays. Un pays qui n’avait pas su l’aider comme il aurait du l’être. Quand certains se bornent à devenir de simples tueurs en série, lui était devenu plus et mieux. Il était, sur sa montagne, le maître du monde. Son cabanon renfermait des centaines d’écrans qui lui montrait la vie des gens. Un voyeurisme assumé lui permettait de voir des femmes et des hommes nus, autant qu’il le voulait. À défaut d’en avoir un ou une avec lui, il les voyaient dans leur lit en train de s’accoupler ou alors dans la rue en train de tomber amoureux. Cela le faisait sourire. Sa propre petite partie de Sims, grandeur nature.
Dehors, le berger allemand – il ne s’était pas embêté à lui trouver un nom – aboya. Fait assez rare pour que Mathieu se demande ce qu’il en était. Il remonta son pantalon – il était en train de regarder un couple dans une villa huppé de Manhattan – et sortit en se grattant la tête. Le chien continuait d’aboyer vers la route, ou plutôt le chemin. Alors seulement, Mathieu entendit le bruit d’un moteur. Rapide et réveillé, il entra précipitamment dans son chalet, sortit le fusil de chasse de son père et se posta sur le perron. La voiture se gara et plusieurs hommes en noir en sortirent. Le berger allemand se ratatina puis s’enfuit à l’intérieur.
_ Je peux vous aider ?
_ Nous cherchons un certain Mathieu Le Caradec.
_ Connais pas.
_ Certain ?
_ Oui. Vous perdez votre temps, je suis la dernière maison.
_ Nous avons des raisons de penser que cet homme est ici. Vous savez qui il est, je présume ?
_ Connais pas, je vous dis.
_ Vous ne connaissez pas l’inventeur de la machine ? Je doute que vous soyez si stupide tout de même.
L’homme qui parlait avisa de la parabole sur le toit puis regarda de nouveau Mathieu.
_ En plus, vous regardez la télé. On en parle beaucoup en ce moment.
_ Il a fait quoi votre bonhomme ?
_ Il a inventé la machine.
_ Quelle machine ?
_ Celle qui dirige le pays.
Mathieu haussa les épaules. Il avait réussi, en sept ans, à modifier son apparence physique afin qu’il soit beaucoup moins reconnaissable. D’autres hommes en noir étaient déjà venus, personne n’était reparti avec lui. Il les aurait tué avant.
L’homme soutenait son regard. Il n’allait pas partir si facilement.
_ Nous pouvons entrer ?
_ Pourquoi ?
_ Visite de routine. Vous devez savoir qu’elles sont autorisées sans mandats désormais. Si vous ne le savez pas, je vous sors mon téléphone et vous montre l’endroit de la constitution où s’est expliqué, avec des mots simples, pour que vous compreniez.
Mathieu grogna et laissa entrer l’homme, sans se dépêtrer de son fusil. Si ça tournait mal, il préférait être préparé. Un rapide tour de la maison ne montrait rien. Dans le chalet, il n’y avait rien d’incriminant. Il n’avait aucune photo de lui. Ses papiers d’identité, qu’il avait sortis à la demande de l’homme en noir, montrait qu’il s’appelait Robert Franquignol et qu’il était né dans le village en bas. La seule chose que l’on pouvait dire, c’était qu’il était un peu jeune pour s’appeler Robert. Remarque que l’homme lui fit, à quoi il haussa les épaules.
De retour dehors et comme de coutume lors de ce type de visite, l’homme demanda à aller dans le cabanon. Il entra, ne vit rien d’autre que des outils.
_ Vous avez un potager ?
_ Trop haut pour le potager.
_ Alors pourquoi les outils.
_ J’ai acheté la maison avec le cabanon.
L’homme en noir entra et marcha dans une substance visqueuse au sol. Il s’agenouilla, prit la substance entre ses doigts et regarda Mathieu avec curiosité.
_ Drôle d’endroit pour se soulager.
De nouveau Mathieu haussa les épaules et marmonne qu’il ne faisait de mal à personne.
_ J’ai bien le droit de me branler où je veux, merde. Je suis chez moi.
L’homme ne vit rien à redire, surtout qu’il ne s’agissait que de la vérité pure. La voiture démarra et l’homme en noir s’excusa du dérangement. Ce n’était cependant pas pareil que les dernières fois. Cette trace de sperme ne jouait pas en la faveur de Mathieu. Il allait falloir bidouiller sur la machine pour éviter ce type de visites peu agréables.
Cependant, il connaissait la règle qu’il s’était imposée par cœur. Ne jamais faire passer une loi juste après une visite. Trop suspect et on ne peut pas savoir comment les autorités vont la prendre.
De retour dans le cabanon, il appuya sur le bouton qu’il appelait le bouton magique et ses écrans réapparurent. Il attrape le reste de le boite de pop-corn. C’est l’heure de manger, au Japon.
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En plus : retour du réseau aujourd’hui. Youpi ! On rattrape le retard (moins de quatre cent mots désormais) et on y croit.