
Kevin l’avait fait pour attirer l’attention de la maitresse mais cela n’avait pas marché. Il voulait qu’elle le voit, qu’elle lui parle comme elle l’avait fait l’autre jour. Il s’était senti important, comme unique. Une chose qu’il ne sentait jamais. Unique, Kevin, aurait tellement voulu l’être. Il voyait comme ses camarades d’école étaient singuliers, particulier. Luis, depuis toujours, faisait partie d’une entité. Les triplés. Qui a des triplés en 1990 ? Les parents de Kevin, Adrien et Romain, les trois garçons venus combler leurs parents. Kevin le savait, ils étaient le fruits de multiples essais bébé de leur parents. Et quand ils étaient arrivés, ils étaient arrivés en force. Impossible de passer inaperçus. D’ailleurs, ses frères étaient eux aussi dans la classe. Ce n’était pas que Kevin était le plus casse cou, c’était qu’il se sentait le plus délaissé. Pourquoi ? Il ne le savait pas encore.
Un autre moyen d’attirer l’attention de la maitresse, c’était de crier. Kevin en avait déjà fait l’expérience, ça marchait bien. Mais souvent, c’était lié à un appel à ses parents, ce qui lui valait ensuite la réputation de casse cou. Avec le temps, il rallongerait cette expression. Pour l’instant, il avait encore on innocence, il avait neuf ans et il voulait juste faire quelque chose que lui seul pouvait faire. De plus, la classe était plongée dans le silence, chaque enfant travaillant sur sa peinture. Kevin avait fini depuis longtemps et n e tenait plus en place, comme souvent. Il voulait sortir, courir, bref, faire le pitre, déjà à cet âge là. Il aimait bien quand on le regardait pour lui, pas comme un membre des triplés.
_ Et comment tu te sens, à la maison ?
_ Ca va.
_ Avec tes frères, ça se passe bien ?
_ Oui.
_ Tes parents aussi ?
_ Oui.
_ Tu fais quoi quand tu rentres de l’école ?
_ Je joue, j’attends maman et papa.
_ Ils ne sont pas là quand tu rentres ?
_ Non, c’est Tatie Jeanne qui nous ramène.
_ Et avec elle, ça se passe bien ?
_ Oui.
Kevin n’aimait pas ce personnage. Il posait toujours tout un tas de questions, toujours les mêmes. D’une semaine sur l’autre, il faisait comme s’il découvrait la vie de Kevin alors que la semaine passée, il avait déjà appris tout cela. Kevin lui avait déjà dit. Il fronça les sourcils et dit :
_ Vous savez, je vous ai déjà dit ça la semaine dernière. La semaine d’avant aussi. On raconte ttoujours la même chose, avec vous. Vous avez des problème dans la tête ?
Le monsieur sourit et lui dit :
_ Non, je ne pense pas avoir des problème sdans la tête. Et toi, tu pense suqe tu as des problèmes dans la tête ?
Kevin ne répondit pas. Il n’avait pas envie de dire oui mais n’avait pas non plus envie de dire non. Il savait que ce qu’il pensait n’était pas normal, encore moins pour un enfant de neuf ans. Il voyait bien comment étaient ses frères, il n’était pas comme eux. Pourquoi ? Bonne question. Il n’arrivait pas à savoir pourquoi. Et n’en avait parlé à personne. Le monsieur se pencha davantage vers lui et lui dit :
_ Je parie que tu as l’impression de ne pas être comme les autres. Même que tu ne penses pas être comme tes frères. Et que tu n’arrives pas à savoir pourquoi.
Kevin ne répondit rien mais il sentit qu’il se reculait. Il n’aimait pas que l’on puisse lire dans son for intérieur. Il avait même horreur de ça. Et ces séances finissaient quelques fois comme ça. Du moins, c’était la seconde qui finissait ainsi.
_ Tu sais, j’ai regardé tes contrôles, dit le monsieur en se redressant et en attrapant un tas de papiers.
Kevin reconnut son écriture serrée et appliquée, celle qu’il avait mis des mois à perfectionner. Au début, son écriture ne lui plaisait pas alors, il avait regardé chez eux comment les gens écrivaient. Puis, dans les magasins, dans des livres d’or, dans d’autres classes. Il avait même volé un papier de la maitresse pour voir comment elle écrivait. Dans sa tête, il avait fait un mélange de tout ça et était arrivé à son écriture. Il savait qu’il allait en changer mais pour l’instant, elle le satisfaisait.
_ Tu es très doué, Kevin, vraiment. J’apprécie particulièrement tes rédactions de français. Elle sont très…inventives.
Ses parents étaient rayonnants, lui aussi. Kevin avait réussi à devenir Kevin et plus « un des triplés ». Il entrait en sixième alors que ses frères rentraient au CM2. Le psychologue scolaire – le monsieur – avait détecté chez lui un QI élevé alors, on lui avait fait sauter une classe. Non pas qu’il en aie eu particulièrement envie, mais il s’était enfin détaché de cet entité qui , comme il avait appris à le comprendre, lui faisait du mal. Il voulait être unique.
Derrière les coups se cachent la jalousie. C’était la phrase qu’il avait entendu l’infirmière dire à une fille que l’on avait retrouvé dans les vestiaires des filles, à terre, battue par d’autres filles. Il l’avait retenue, parce que, depuis qu’il était petit, il ne choisissais pas ce qu’il retenait. Alors qu’il était en train de lire, sans faire de mal à personne, la bande de Marco était venue l’asticoter. Ils avaient pris son livre, puis avait fait tombé le contenu de son cartable dans la boue. Pratique, pour réviser son cours d’histoire géographie. Heureusement qu’il n’avait pas vraiment besoin de notes. Pour ce qui était des livres, c’était embêtant. Il allait devoir en acheter des nouveaux, encore une fois. Il ne pouvait décemment pas arriver en cours avec des livres boueux. Il l’avait fiat, on lui était tombé dessus comme quoi, il avait beau être intelligent, il fallait aussi qu’il fasse attention à ses affaires. Savoir ne t’empêche pas de faire attention. Une fois le contenu du cartable dans la boue, il avait commencé à le taper gentiment. Désormais, il était au sol, se cachant le visage. Il avait l’art de choisir des endroits reculés du collège, pour se cacher. Alors, ils pouvaient le taper en toute tranquillité. Derrière les coups se cachent la jalousie.
Seconde. Liberté. Nouveau départ. Lycée, débarrassé de l’enfer du collège. Dans les années 2000, on en parle pas de harcèlement. Il ne comprendra que plus tard que c’était cela dont il était victime. Il fait un caca nerveux pour avoir un casier. On lui attribue. Il y cache ses livres de cours, dans la peur d’avoir une nouvelle bande de Marco qui le traite de bizarre, de génie, de prétentieux. Il n’a pourtant pas l’impression d’être comme ça. A dire vrai, il ne parlait pas beaucoup – pour dire quoi ? Pas envie d’être traité de fayot. Il ne parle pas en classe, ne répond que quand on l’interroge, même s’il a la réponse à chaque fois.
Bac mention très bien, les félicitations du jury. Pas d’effusions particulière à la maison. Ouais, on s’en doutait, c’est la réponse d’Adrien et Romain. Bien, mon fils, la réponse de son père. Bravo mon chéri, la réponse de sa mère.
Personne n’était assez surprise pour le laisser être unique. Oui, il réussissais, pas la peine de le mettre dans la face de tout le monde. Du désir d’être unique est né un autre désir. Celui d’être parfait.
_ Ordre du jour ?
_ Rendez-vous avec Brett à 10h. Ensuite déjeuner avec Jane a 12h30 au Ritz. Interview de Forbes à 15h dans leur locaux – vous aurez une limousine qui viendra vous chercher au Ritz. Heure de détente et ce soir Gala organisé par votre femme.
_ Bien, merci.
Comme toujours, Kevin n’avait pas enregistré un seul mot de ce que son assistante avait dit. Il ne se souvenait même pas de son prénom. L’arrogance n’avait jamais été un trait de son caractère, pourtant il en était rempli et s’en rendait compte et ce depuis quelques temps. Sa femme, Zarah, le lui faisait remarqué à longueur de temps. Elle ne partait pas. Kevin savait pourquoi. Il était riche, beau, et un modèle de réussite. Pourquoi quitter un si bon parti ? Elle lui avait donné des enfants, qui étaient assez grands maintenant pour ne plus trainer dans leur pattes. Zarah et Kevin étaient devenu des étrangers. La réussite, à quel prix ?
Ce jour-là, il devait visiter une école qu’un de ses programmes de charité avait aider à construire. Oui, même en plein cœur des Etats-Unis, il y avait des écoles à construire. Il avait pris son jet privé, oui. Il avait réussi. Dans la voiture, il revit en détail le programme avec son assistante – une nouvelle, enfin, lui semblait-il. Elle faisait bien le job, ne posait pas trop de questions et semblait comprendre que, de toute façon, elle parlait dans le vent.
Il sortirent de la voiture, serrèrent des mains, faire des photos avec les enfants, le baratin habituel qui permettrait de vendre des journaux qui titraient toujours « Le français qui a réussi aux Etats-Unis ». Parfois, il se trouvait mal pour tous les autres français qui avaient aussi réussi aux Etats-Unis et qui devaient voir ça. Que pensait Timothée Chalamet de ce genre de titre ? Ou bien David Guetta? Même si le titre était accrocheur, et, il faut bien l’avouer, vrai, il éprouvait parfois un certain malaise à être dénommé uniquement comme le français. Et il; le savait, il régnait ses origines.
Dans les salles de classes, on lui expliqua que, pour l’instant, beaucoup de matériel n’était pas neuf mais provenait de dons de familles alentours. Il hocha la tête, interloqué de ne pas voir des nouveaux feutres ou des nouveaux stylos. Il avait pourtant donné assez d’argent, non ? Il se pencha pour la forme et vit le même stylo qu’il avait piqué ce jour là, dans la classe de CM1. Celui qui, lui semblait-il avait plus ou moins tout déclenché. Du moins, c’était le premier jour qu’il avait compris qu’il était vraiment différent. Et depuis ce jour, il avait voulu attirer l’attention. En étant bon à l’école. En faisant de brillantes études. En s’expatriant aux Etats-Unis et en y réussissant. Tout mais ne pas être « un des triplés ».
Pris d’une bouffée de nostalgie, il appela Romain depuis la voiture. Personne autour de lui ne parlait français, même lui ne le parlait presque plus. Il lui arrivait de tomber sur des vidéos ou des série sou des films et de ne pas comprendre certains passages.
_ Allô ?
_ Romain, c’est Kevin.
_ Ouais, je vois. J’ai encore ton numéro en mémoire.
Cela faisait trois ans sinon plus qu’il n’était pas revenu en France. La dernières réunion de famille s’était assez mal passée. Ses parents lui avait demandé de l’argent, de même que Adrien. Romain n’avait rien demandé mais Kevin savait qu’il n’en pensait pas moins. De même, il savait que le reste de sa fratrie et ses parents se voyaient régulièrement mais cela ne l’intéressait pas.
_ Tu reviens en France bientôt ?
_ C’est pas prévu, j’ai pas mal de trucs sur… enfin à faire quoi.
_ Alors pourquoi tu m’appelles ?
_ Je sais pas. J’ai pensé à notre enfance et je me suis dit que j’allais t’appeler.
_ Bravo.
_ Papa et Maman, ça va ? Adrien, aussi ?
_ On va bien, mec. Si un de nous meurt, je pense qu’on aura la décence de t’appeler.
Kevin leva les yeux au ciel. Il ne voulait pas entrer en conflit avec son frère, mais c’était à croire que ce dernier faisait tout pour l’embêter. Comme Marco quand il était au collège.
_ Ouais, laisse tomber. A plus.
Kevin ne prit même pas le temps d’attendre la réponse de son frère. Il regarda par la fenêtre. Il s’était construit tout seul, sans l’aide de personne. Personne ne l’avait soutenu, personne ne l’avait encouragé. Et voilà où il en était. Plus riche que Bill Gates, plus connu que Barack Obama dans son propre pays. Un succès qui valait tous les sacrifices du monde, même celui de sa famille. Une famille dont il n’avait jamais voulu. Une famille qu’il avait détesté d’aussi loin qu’il se souvienne. Mais ce n’étai pas ce qu’il disait en interview. Il parlait d’eux comme s’il les avait souvent au téléphone, comme s’il allait souvent en France, comme s’il était proche d’eux. De toute façon, il est presque certain qu’aucun d’entre eux ne parlait anglais, alors, il pouvait bien mentir. Non ?
Une fois dans l’avion, il regarda les petites maisons au sol. Oui, je suis bien une réussite, se dit-il. Oui, je suis arrogant. Mais je sais ce que je suis, par où je suis passé et ce que j’ai fait pour en arriver là. Alors oui, j’ai le droit d’en être fier.
Total des mots pour la journée : 2076
Total des mots pour le NaNo : 20 046
En plus : J’ai rajouté le dernier paragraphe parce qu’il me manquait 6 mots pour atteindre les 20 000. J’avoue ! Mais bonne nouvelle, du coup ! Je suis de nouveau revenue dans la course. L’objectif du jour était de 20 000 donc et je suis à un tout petit peu plus que 20 000. Youpi, plus de retard à rattraper et normalement, je ne devrais plus en accumuler pour le reste du mois. Allez, on y croit !