NaNo Prompts 2022 – Jour 16

Quincy Douglas était professeur de français à l’université d’Harvard depuis des années. Il avait obtenu un poste de professeur résident dix ans auparavant et pensait qu’il connaissait tout, qu’il avait tout vu. Il savait, par exemple, que ses élèves rigolaient quand ils voyaient son nom et son prénom à côté de Français 101 ou 301. Il aurait sans doute fait la même chose. Il était d’ailleurs le seul professeur de français à ne pas être lui-même français. Il côtoyait Bénédicte, Benjamin et Aurélien. C’est sûr qu’à côté, Quincy, ça ne sonne pas la langue de Molière.

Ses parents s’étaient connus à New York. Son père était là pour un séjour linguistique de fin d’étude, sa mère y vivait. Ils étaient tombé amoureux, alors que son père était sûr de repartir. Il avait son billet, il ne pouvait pas rester plus. Sa mère avait fait la folie de prendre tout l’argent qu’elle avait de côté et de le suivre en France. Bien évidemment, pour son esprit de jeune femme, dans les années 50, la France, c’était Paris, la romance, le french kiss. Puis elle avait atterri à Sarcelles, avec son père. Ils avaient vécu avec les parents de ce dernier pendant un moment, le temps de trouver un boulot tous les deux et de pouvoir trouver une maison pour être tranquille. Quincy avait été leur seul enfant. Leur amour pour Quincy Jones avait fait qu’ils lui avaient donné un prénom typiquement américain. Du moins, c’est ce qu’ils pensaient. Kayla, la mère de Quincy, avait tenté de dire que à David, le père de Quincy, que ce prénom avait tout de même une connotation de communauté particulière, surtout depuis l’avènement de Quincy Jones. David s’en fichait.

Quincy avait donc grandi à Sarcelles, du moins pendant les six premières années de sa vie. Ensuite, Kayla avait repris les choses en main. elle avait quitté David et était partie aux États-Unis avec son fils. Dans un ville dont personne n’avait jamais entendu parler : Tenfink, Indiana. Elle savait que David était trop ignorant pour pouvoir la retrouver si elle était dans une petite ville. Et le temps qu’il fasse le tour de tous le pays, elle avait le temps d’avoir trois vies. Elle avait éduqué son fils seule, n’avait jamais pensé à se remarier. Elle était partie parce qu’elle voulait plus pour son fils, plus que Sarcelles, ou même que la banlieue. Elle ne voulait pas de cette vie, avec cette mentalité. Avant de rencontrer David, elle aurait pensé que les français et les américains pensaient de la même façon. Elle s’était fourvoyée. Elle avait vu comment les français rabaissaient systématiquement les gens, pensaient qu’ils étaient meilleurs que tout le monde et surtout pensaient qu’il fallait toujours, toujours aller bien, sinon, il valait mieux se taire. L’échec ne faisait pas partie de leur vie alors que tout le monde rencontre des obstacles. Le plus important, c’est de les surmonter et d’avancer, pas de se focaliser sur le négatif.

Quincy regarda de nouveau le sujet puis relut la copie qu’il avait devant les yeux. « Faites le portrait de votre héros idéal ». La consigne était simple mais l’étudiante à qui appartenait la copie, Charlie, était incroyable. Depuis qu’il était devenu professeur, Quincy avait appris à porter un masque, à ne pas être Quincy Douglas, ce mec marrant dans une soirée ou Quincy Douglas, ce mec qui peut séduire facilement les femmes. Non, il était Quincy Douglas, le professeur. Rien de plus. À ce titre, il regardait toujours les évaluations des élèves avec recul, sans se prendre dedans. Il avait déjà eu des bons élèves, de très bons élèves, même. Mais jamais personne n’avait réussi, comme Charlie, à lui faire enlever son masque. Sa description était parfaite. Il n’y avait presque aucune faute – juste un e qui manquait à un mot qui tenait plus de l’étourderie que de la non connaissance – et… tout était vrai dans ce qu’elle disait. On aurait dit un travail de recherche qui aurait pu être écrit par un chercheur comme Quincy. Il fronça les sourcils en pensant cela.

Les jours qui suivirent, Quincy éplucha les plus connus et les moins connus de ses confrères. Il lut plusieurs travaux qui traitaient du mythe du héros, essayant de trouver quelque chose. Il avait fini de tout corriger. Il ne lui restait plus qu’à noter la dissertation de Charlie. S’il devait la noter, là, maintenant, il lui mettrait un A+. Il n’avait jamais rien lu de tel, de si bien écrit et de si bien développé. Charlie était une bonne élève – c’était la troisième année qu’il l’avait dans sa classe – elle participait en classe, avait une bonne énergie mais elle était bien loin de pouvoir produire ce type de devoir. Mais comme c’était un examen fait en classe, il n’y avait, à priori, aucune raison de penser qu’il était possible de tricher. Quincy avait supervisé lui-même le devoir, en lisant Ernest Hemingway, pour se donner un genre – il avait en réalité, déjà tout lu de cet auteur et ce n’était pas comme s’il allait écrire de nouveaux ouvrages.

Les recherches ne donnèrent rien. Ainsi, lorsque la classe de Français 301 arriva au cours ce mardi après-midi, il distribua les copies. Sur celle de Charlie, il avait mis un post-it indiquant qu’il souhaitait la voir à la fin du cours. Elle s’exécuta, quand il libéra les autres.

_ Vous vouliez me voir, Mr Douglas ?

_ Oui, asseyez vous, Miss Robinson.

De nouveau, elle s’assit sans poser de question.

_ Je… Votre devoir était très bien.

_ J’ai cru comprendre à la note que vous m’avez attribuée. J’ai beaucoup travaillé pour en arriver là.

_ Je… Je ne veux pas remettre cela en doute, Miss Robinson, croyez-le bien. Mais je vous connais depuis votre première année et… j’ai de la peine à croire que vous ayez le potentiel pour fournir un tel devoir.

_ Je vous demande pardon ?

_ Je m’exprime mal. Je… Je…

Quincy détestait bégayer. Il avait appris à parler quand il avait quatre ans parce que, déjà à l’époque, il n’aimait pas ne pas trouver ses mots. En français et en anglais. Un petit génie, comme l’avait appelé son papa. Hum, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas pensé à David.

_ Je vais être honnête avec vous. J’ai pensé à de la triche. Laissez-moi finir, je vous en prie. J’ai pensé à de la triche. J’ai cherché sur tout ce qui se faisait sur le mythe du héros et… je n’ai rien trouvé de similaire. Alors, je ne peux pas faire autrement que de vous mettre la meilleure note possible. Elle est déjà entrée dans l’ordinateur, je ne la changerai pas. Pouvez-vous m’éclairer ? Avez-vous triché ou non ?

Charlie Robinson considéra le professeur pendant un instant puis elle se leva et soupira, comme l’adolescente qu’elle était encore, il y a quelques années. Puis elle sourit.

_ Ce n’est pas vous qui nous avez dit que quand on avait la bonne inspiration, tout venait naturellement ?

_ Si mais…

_ Alors, il faut croire que j’avais l’inspiration parfaite.

Elle fit quelques pas et se tourna au niveau du seuil de la porte.

_ Vous n’allez pas me demander à qui je pensais ?

_ A qui pensiez-vous ?

Son sourire s’étira un tout petit peu plus et elle répondit, le plus simplement du monde :

_ Vous.

Sur ce simple pronom, elle quitta la pièce, laissant Quincy sur le cul.

Cela faisait deux semaines depuis la petite déclaration de Charlie Robinson et Quincy n’avait pas pu pensé à quoi que ce soit d’autre. Il n’avait jamais eu ce genre de sentiments ou de pensée pour une étudiante et encore moins une des siennes. Il savait qu’il était de notoriété publique qu’il était célibataire, et il savait qu’il avait un charme qui ne laissant pas indifférent mais de là à ce qu’elle pense à lui pour un devoir sur le héros, il y avait quand même une marge.

Quincy, assit dans sa salle de classe pendant son heure de pause, savait qu’il se torturait pour rien. Si c’était vrai, ce n’était qu’un petit crush d’étudiante, rien de bien méchant. Il lui dirait que ce n’était pas approprié, ça s’arrêterait là. Si c’était faux, il se serait une nouvelle fois fait avoir par une de ses élèves, ça ne serait pas la première fois.

_ Miss Robinson, vous pouvez venir me voir, s’il vous plaît ?

Charlie fit un signe complice à ses amies et s’avança vers le bureau de Quincy.

_ Je suis désolé de vous importuner mais… ce que vous m’avez dit la dernière fois était inapproprié et j’aimerai que l’on pose les bases, puisque cela semble nécessaire.

Charlie pencha un tantinet sa tête sur le côté et mordilla sa lèvre. Il n’y avait pas à dire, s’il enlevait son masque, il la trouvait très mignonne. Dommage qu’il restait Professeur Douglas dans l’enceinte de ces murs.

_ Je suis votre professeur et vous êtes mon élève. Il n’est pas question de… je ne dois pas être votre sujet de dissertation.

_ Je n’y peux rien si vous m’inspirez et que vous êtes mon héros.

_ Il ne me semble pas que vous ayez évoqué vouloir être professeur de français plus tard.

_ Ce que j’admire n’est pas votre métier. J’admire votre façon d’être. Vous êtes humble. Vous ne vous prenez pas pour je ne sais pas qui, comme la majeure partie de vos… confrères. J’aimerai être capable de porter ce… masque comme vous. On ne devine jamais ce que vous pensez. C’est magique. Je suppose que vous n’avez pas toujours eu cette faculté. Mais j’apprécierai l’avoir. Je ne pense pas porter un masque qui cache ce que je pense. Vous êtes d’accord ?

Il plongea son regard dans le sien, incapable de résister à la tentation. Son masque était sur le point de tomber. Il vit dans les yeux de la jeune femme un désir si pur qu’il en eu presque mal au cœur pour elle. Il avait envie de lui dire qu’il n’était pas bien pour elle, qu’ils n’était pas bien ensemble. Il ouvrit la bouche mais la referma aussitôt.

_ Qu’est-ce que vous voyez, professeur ?

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