NaNo Prompts 2022 – Jour 17

Si un grain de sable s’était coincé dans les rouages de l’un ou l’autre de leur vie, Karen et Nick ne se serait jamais rencontré. Comme aimait à le dire Karen, avec des si…

Le tournage était celui d’un navet français qui avait fait un flop à sa sortie. Une histoire d’amour interdite entre un allemande et une française sous l’occupation, pendant la seconde guerre mondiale – un sujet éculé, vieux comme les robes de la ère de Nick. De plus, le réalisateur avait souhaité rester le plus authentique possible. Par là comprendre : garder la condition de la femme comme elle était à l’époque et ne surtout pas faire évoluer les choses. Karen avait eu le rôle principal féminin, Nick le rôle masculin. Il jouait bien le rôle d’un aryen, grand, yeux bleus, athlétique. Elle avait pensé, au début, qu’elle ne l’apprécierait pas, parce que c’était un copain de Luc, le réalisateur, qui, tout comme le film, avait gardé les mêmes rapport à la conditions des femmes qu’en 1943. Karen avait d’abord cru qu’il était un homme typique de la société patriarcale, pire, c’était un misogyne masochiste à tendance sadique. Il n’était pas rare de voir des figurantes entrer dans son bureau. Quand elles en ressortaient, elles avaient le regard vide. Ce n’était pas un secret, tout le monde savait ce qui se passait là-dedans. Mais la magie du cinéma était que, dans ces années-là, personne n’osait parlait de ce qui se passait en coulisse. Karen espérait que cela changerait un jour.

Mais revenons à nos moutons. Luc et Nick étaient des potes de collège et Luc avait employé Nick pour faire des économies budgétaires. En effet, c’était son premier rôle, on pouvait donc se permettre de le payer bien moins que Karen, qui avait déjà un peu percé dans le milieu. Bien des années plus tard, elle découvrirait, effarée, que ce qu’elle avait gagné pour son dixième rôle dans ce navet était tout de même inférieur à ce qu’avait touché Nick. Magie de l’époque et des inégalités.

Au début, Karen s’était tenue très loin de Nick hors du temps de travail. Elle bossait en plus sur son premier roman et utilisait les pauses pour écrire, dans sa loge, sur le lieu de tournage. Elle voyait bien qu’il essayait de briser la glace entre eux mais elle n’avait pas envie d’un énième connard dans sa vie. Et elle pensait que Nick en était un.

Un soir, alors qu’ils tournaient une scène pivot dans le film – la première fois que l’allemand découvre qu’elle fait partie de la Résistance mais qu’il décide de ne rien dire parce qu’il est amoureux d’elle – Luc commençait à perdre patience.

_ Karen, qu’est-ce que tu fous bordel ?

Karen lui lança un regard cinglant. Ce n’était pas elle le problème et s’il avait une once de bonne volonté, il aurait vu que le problème, c’était son petit protégé. Nick n’avait pas l’air de savoir le texte. Karen avait été étonnée quand il avait buté sur la première réplique car il savait en général ses répliques par cœur. Alors qu’ils étaient arrivés jusqu’à la scène d’une embrassade torride, elle avait compris. Nick était en sueur, brûlant. Elle n’avait pas réussi à lui dire, entre deux prises, qu’il faudrait qu’il voit le médecin. Personne ne devrait avoir à jouer dans ces conditions. Elle avait beau ne pas l’apprécier plus que ça – sans le détester – elle n’était pas du genre à vouloir que les gens aillent mal.

_ Je pense que tu devrais demander à Nick où est le problème.

_ Pardon ? Nan mais tu te crois où ?

_ Je ne me crois nulle part. Mais si tu faisais un tant soi peu attention à tes équipes, tu verrais qu’il n’est pas en état de travailler. Sauf que c’est son premier boulot et qu’il ne va pas oser te le dire.

Luc, qui fulminait, avait alors pris Nick à part. Il était revenu une demie-heure plus tard, seul.

_ Nick est allé voir le médecin. Je lui avais dit qu’il n’était pas en état de travailler.

Sur le plateau, personne n’avait osé dire quoi que ce soit. Karen avait estimé que ses remarques précédentes avaient suffi, s’était abstenue de tout commentaire. Le lendemain matin, elle s’était rendu dans le cabinet de fortune du médecin de tournage. Elle avait demandé à voir le grand malade. Nick avait l’air un peu mieux. Quand elle lui avait touché la main, celle-ci n’était plus aussi chaude que la veille – et pour une fois, malgré le froid rigoureux de la fin de l’automne, elle en était reconnaissante. Il s’était passé un moment où ni l’un ni l’autre n’avait parlé. Puis Nick avait dit :

_ Merci, pour hier.

_ Je t’en prie, c’est normal. Tu sais, tu aurais du dire que tu te sentais mal. Après tout, Luc est ton ami, il aurait compris, tu ne penses pas ?

Nick se contenta de hocher vaguement la tête, puis tourna les yeux vers l’extérieur. Karen savait ce qui lui passait par la tête. Elle ne voulait pas faire sa sainte-nitouche mais elle sentait qu’elle avait là un opportunité incroyable de remettre Saint Luc à sa place. Alors elle pressa fort la main de son partenaire d’infortune et lui dit :

_ Je sais que tu veux lui faire plaisir. Mais tu crois pas que ta santé passe avant un rôle ?

_ Facile à dire pour toi.

Le ton cinglant avait fait retirer sa main à Karen. Nick regarda sa paume vide avec des yeux perdus. Karen avait vu juste. Elle le fusilla du regard.

_ Je pensais que tu n’étais pas comme lui.

Elle se leva et prit la direction de la sortie.

_ Karen !

Malgré elle, elle se tourna et vit des larmes au bord des yeux de Nick. Elle ne pouvait pas ignorer cela. Sa mère lui avait toujours dit de faire attention à son prochain. Si elle n’avait pas suivi les autres enseignements religieux qu’avait essayé de lui prodiguer sa mère, ce dernier était resté gravé dans sa mémoire. Elle n’avait jamais le cœur à dire non quand elle voyait que quelqu’un avait réellement besoin d’elle. Comme Nick, là, maintenant.

_ Quoi ?

_ Je… On a déjà du retard dans le film et… Je ne veux pas être la cause de plus. Je veux juste… Je veux juste…

Le mots se coinçaient dans sa bouche. Karen, attendrie parce que cela la renvoyait à elle, quelques années auparavant, lui prit de nouveau la main et lui dit :

_ Tu veux juste bien faire.

Il hocha la tête et de nouveau regarda par la fenêtre. Elle savait ce qu’était la peur d’être la cause du retard. Mais c’était connu, tous les films avait un planning de production, de tournage etc. Jamais personne n’arrivait à le respecter. Sauf les rares qui avaient compris qu’il fallait prendre les impondérables en considération. On ne peut pas savoir comment va se passer un tournage. Il peut y avoir une épidémie de grippe qui retarde d’une semaine. Quelqu’un peut se casser la jambe. Un autre peut décider de ne juste pas revenir. Sans compter ce que Karen catégorisait dans les « problèmes extérieurs » : décès, problème de justice, naissance… Bon, les naissances, ces prévisibles mais peut-être pas toujours à cent pour cent. Elle avait été cette jeune actrice qui fait tout pour ne pas retarder le planning établi. Mais elle s’était ruiné la santé. Si elle pouvait en sauver un, elle le ferait.

_ Tu as vu le film Les vices du mécène ?

C’était son premier rôle. Elle tenait le rôle d’une tentatrice au temps de la renaissance en Italie. Elle se trouvait alors prise dans un jeu de pouvoir avec un mécène et un noble. Une romance historique, plus protée sur l’idée de montrer sa poitrine que faire porter un message.

_ Oui.

_ Tu vois la scène… hum… dans les bains publics ?

Nick rougit et hocha la tête. Il n’était plus du tout question qu’il la regarde à présent.

_ Eh bien, ce sont de véritables bains. Ils se trouvent dans la banlieue de Turin en Italie. C’est bien la seule partie du film que nous avons tournée au bon endroit. Enfin. Passons. Nous avons tourné une scène, la nuit, dans une eau froide à en crever. D’ailleurs mon système immunitaire n’avait pas supporté. Le lendemain, j’étais incapable de tenir debout. Je comprends cette angoisse de ne pas réussir à faire ce que l’on attend de toi.

_ Tu es quand-même allée jouer ?

_ Oui. Je me suis dit que c’était pas grave que je tremble quand je suis debout puisque quasiment toutes les scènes étaient assises.

_ Il s’est passé quoi ?

Il avait tourné la tête vers elle. Elle baissa la sienne.

_ J’ai fait un malaise. Hypothermie. Une semaine à l’hôpital. Heureusement, malgré l’échec commercial de ce navet, j’ai compris que prendre soin de soi, c’était plus important. Si je n’avais pas forcé, j’aurais été arrêté deux jours, pas plus. Là, j’ai eu une semaine d’hôpital, plus deux ou trois jours encore après où ça n’allait pas. À vouloir trop en faire, j’ai failli…

Elle ne finit pas. Elle se souvenait encore de son réveil, à l’hôpital central de Turin, avec ses co-stars et le réalisateur juste à côté, le visage livide. Ils lui avait expliqué que, brutalement, elle était tombée. Puis plus rien. Comme si elle était morte. Elle respirait, mais très faiblement. Elle avait failli y passer.

Elle pressa un peu plus la main de Nick.

_ Je ne souhaite ça à personne, Nick. Pas même à un ami de Luc. Pas même à Luc.

Ce moment avait marqué le début de leur histoire. Karen et Nick avaient commencé à manger ensemble, faisant au début uniquement croire que c’était pour répéter les scènes. Ils s’étaient rapprochés, vraiment beaucoup. Quand on leur disait que leur complicité était visible de loin, ils disaient systématiquement que c’était juste beaucoup de travail et que c’était facile, avec un.e si bon.ne partenaire. Quand le tournage s’était terminé, tout le monde était rentré de son côté. Tout le monde, sauf Karen et Nick. Enfin, si. Heureusement, ils vivaient tous les deux en banlieue parisienne. Ils avaient continué leur histoire, bien au-delà de celle de leurs personnages. Encore une heureuse coïncidence, il y avait eu très peu de promo pour ce film alors ils n’avaient pas eu à faire semblant d’être de simples collègues.

L’année suivante, Karen trouvait SON rôle et elle avait vraiment percé. Nick faisait encore de petits rôle mais dans des films à bien plus gros budget. Alors que Karen était invité au festival de Cannes, elle y était allée avec Nick. Leur romance s’était affiché au grand jour. Luc, qui traînait toujours dans ce genre d’événements, avait vite fait de dire que c’était grâce à lui que les deux se connaissaient. Karen et Nick ne lui avait plus adressé la parole depuis presque la fin du tournage. Mais bien sûr, il revenait en ami attentionné. Dès qu’il y avait de la visibilité à gagner…

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En plus : J’ai bien aimé mes deux sessions d’aujourd’hui. Elles m’ont bien aidé à bosser sur ce prompt que j’ai bien aimé aussi. Peut-être que j’en ferai un roman (oui, encore)

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