
L’envie de prendre ses jambes à son cou, ou bien tout simplement d’annuler le rendez-vous. Ayant une peur presque phobique du téléphone, Shana avait commencé des dizaines de brouillons qu’elle n’avait jamais envoyé, par peur des représailles. Tous commençaient de la même façon :
« Cher Maître Kingston,
Par la présente, je suis navrée de vos informer que je ne pourrais pas être présente à l’entretien du 22 novembre 2022. En effet, vous connaissez mon dossier et je ne peux pas… »
Puis elle commençait à réexpliquer les faits, rappeler que la confrontation était impossible, qu’elle ne saurait pas où se mettre ou quoi dire. Que dire, de toute façon ? Elle savait, au fond de son cœur, que cela ne changeait rien. Rien ne bougerait plus et elle serait toujours dans la galère.
Pour passer le temps avant l’arrivée de Me Kingston, elle prit son téléphone et le déverrouilla. Aucun message. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, non ? Elle regarda son fond d’écran et appela le dernier numéro. Elle ne pouvait pas s’en empêcher.
_ Shana ? Un problème ? La confrontation a été annulée ?
_ Non je… il y a un peu de retard. Je voulais savoir si tout allait bien.
_ Shana, Cory dort, tout va bien. Tu sais que je ne laisserai rien lui arriver, n’est-ce pas ?
Shana se frotta la cuisse de la paume de la main. C’était la première fois qu’elle laissait Cory depuis les faits et elle avait beau avoir une confiance totale en Lucy, elle ne pouvait pas s’empêcher d’imaginer le pire. E même temps, quand on voyait ce qui s’était passé la dernière fois, on comprenait mieux l’appréhension de Shana. Quand elle avait appris qu’elle devrait laisser son fils pour la confrontation, elle avait hurlé qu’elle ne le ferait pas, qu’elle n’avait personne pur le garder et qu’il était hors de question qu’il aille chez quelqu’un qu’elle ne connaissait pas et en qui elle n’avait pas confiance. Lucy était sa seule amie. Elle avait accepté de garder le petit. Bon sang, elle avait même du poser un jour pour pouvoir le faire. Shana s’était sentie horriblement gênée lorsque Lucy lui avait avoué ce fait. Elle ne voulait pas être cette personne qui avait besoin des autres. Mais le fait était là, elle avait besoin de Lucy aujourd’hui. Elle lui revaudrait ça.
_ Shana ?
_ Oui, je…
_ Je comprends, Shan, je sais que ce n’est pas facile, je peux imaginer. Mais tu me connais et tu sais que je ne ferais jamais de mal à Cory.
_ Oui, je sais. Je suis désolée. Je… Maitre Kingston arrive.
_ Tu m’appelles à la fin ?
_ Oui, bien sûr. Merci encore.
_ Pas de problème.
Shana raccrocha rapidement et se tourna vers son avocat. On le lui avait commis d’office mais elle était ravie du travail qu’il avait fait jusque là. Il était attentif à elle et surtout, il pensait avant tout à Cory.
_ Prête ?
Shana hocha la tête ; elle ne pouvait rien faire d’autre. Elle entra en tentant de maîtriser le tremblement de ses mains. Pas facile, quand on a passé la matinée à angoisser.
_ Silence !
Shana et sa mère se turent d’un coup. La juge n’avait pas l’air d’avoir le temps de les écouter s’engueuler. Mais Shana n’y pouvait rien.
Quand elle était entrée dans la pièce, la nonchalance de sa mère l’avait exaspérée. Cette dernière lui avait souvent dit que faire des enfants jeune était une erreur qu’il ne fallait jamais faire. À la jeune Shana de huit ans, elle avait expliqué comment on faisait les bébés et elle lui avait dit d’attendre d’avoir au moins trente ans. Pas par conviction religieuse. Non. Uniquement pour profiter de sa jeunesse. Plus elle avait grandi, moins Shana avait écouté sa mère. Pire, elle avait eu envie de tout faire pour lui casser les pieds. Alors que sa mère lui mettait des préservatifs à disposition, elle avait choisi, sciemment, de faire l’amour sans. Neuf mois plus tard ou presque, Cory pointait le bout de son nez sous le regard haineux de sa grand-mère et le regard joyeux de sa mère. Shana venait d’avoir seize ans. Elle avait abandonné le lycée et travaillait dans un snack la journée et, quelques soirs par semaine, elle aidait dans un bar – le bar où elle avait rencontré Lucy. Quand elle travaillait, c’était sa mère qui s’occupait du petit. Cela avait duré trois ans, sans que rien de grave ne se passe. Puis, un soir, alors qu’elle vouait sa vie à Cory, Shana avait décidé de sortir. Juste un soir, sur 365. Elle avait demandé à sa mère si elle pouvait gardé Cory alors que ce n’était pas prévu. La mère avait accepté de mauvaise grâce – « Tu me donneras cent dollars » avait été sa seule condition. Shana, avait accepté, même si, pour ce mois-ci, cela signifiait mettre moins de côté pour son fils. Elle était sortie avec Lucy, avait été dans un restaurant sympa mais sans plus, parlé de tout et de rien – interdiction de parler de Cory – et avait même prit un dernier verre dans un bar. Elle était rentrée aux alentours de vingt deux heures. Quand elle n’avait vu personne dans le lit de Cory, la panique l’avait gagnée. Personne dans l’appartement. Mais bon sang, où était sa mère ? Elle avait tenté de l’appeler, une fois, vingt fois. Pas de réponse. Elle avait laissé des messages hystériques et avait fini par sortir, en pleurs. Il fallait qu’elle le cherche. Mais par où commencer ? Ce fut la voisine qui lui vint en aide. Elle avait vu sa mère partir une heure plus tôt, en voiture, avec le petit. Elle avait trouvé que c’était une drôle d’heure. Elle avait demandé à la mère de Shana où elle allait et cette dernière, sans doute déjà un peu alcoolisée, avait répondu : « Chez mon mec, ça te pose un problème ? » Shana avait prit son vélo et était allée chez le mec de sa mère. Il habitait dans le quartier le plus mal famé de la ville mais elle s’en fichait. Elle ne pensait qu’une un chose : Cory. Elle entra sans frapper – la porte était entrouverte – et hurla le prénom de son fils et celui de sa mère. Cette dernière apparut, complètement stone, le bébé dans les bras. Alors qu’elle vit sa fille, elle lâcha Cory, qui se cogna la tête sur la table basse. Ambulances. Urgences. Questions de la part des services sociaux. Shana avait le droit à la totale. Elle avait failli se faire retirer la garde de son fils. Mais ce qu’elle avait décrit était bien trop précis et fut ensuite vérifié par la police. La mère de Shana avait été interrogée, elle niait avoir lâche intentionnellement le bébé. Le mec avait été arrêté pour consommation et revente de stups.
_ Bien, reprenons. Miss Evans, vous disiez que vous étiez arrivée dans l’appartement de M. Kortès et qu’il y avait une drôle d’odeur.
_ Non, je n’ai pas dit ça. C’était une odeur de joints. Ma mère et lui était en train de fumer avec mon fils à coté.
_ Vous les avez vu fumer ?
_ Non, mais je…
_ Ah ah ! Tu ne fais que penser que je fumais ! Mme La juge, c’était sans doute de l’encens.
_ Pour sur, ça t’arrangerai bien que ce soit de l’encens, mère indigne.
_ Pas plus que toi. Nan mais regarde toi. Enceinte à quinze ans, on n’a pas fait pire.
Shana se retint. Elle ne voulait pas paraître méchante. Ce qu’elle voulait, c’était une interdiction pour sa mère de voir Cory. Elle allait se débrouiller pour trouver une nounou. Demander autour d’elle, dans le foyer où elle était hébergée pendant la durée du jugement. Sans doute que d’autres mamans avaient eu le même problème. Et puis, ce ne serait que pour deux ou trois soirs par semaine, Corry allait à l’école maintenant.
_ Mme la juge, intervint Me Kingston, le fait que Miss Evans soit tombée enceinte jeune n’est pas un critère sur lequel il faut s’appesantir. Si Mrs Evans n’a que cet argument là pour indiquer son manque du culpabilité dans cette affaire, en voilà un bien pauvre.
La juge ouvrit des yeux ronds et demanda à l’avocat d’étayer.
_ Oui, Miss Evans est tombée enceinte à quinze ans. Nous le savons, c n’est d’ailleurs pas la peine de le rappeler. Cela fait-il d’elle une mauvaise mère ? Non. À l’inverse, cela l’a fait mûrir bien plus rapidement que les… jeunes filles de son âge. Vous trouverez ici des copies de ses certificats de travail fournis par ses employeurs depuis quatre ans. Elle a trouvé un travail dès qu’elle a su qu’elle était enceinte, pour subvenir aux besoins de son enfant.
_ Et pendant ce temps-là qui c’est qui gardait le bébé ? Bibi ! éclata sa mère.
_ Tu ne t’es jamais plaint quand je te donnais tes deux cents dollars par mois pour t’acheter ta coke, rétorque Shana, au bord des larmes.
Elle sortit de la pièce et se dirigea vers les toilettes. Elle fit signe à Me Kingston qu’elle allait revenir. Elle ferma la porte d’une des cabines et vomit dans le lavabo. Comment cette femme-là, dans cette pièce pouvait être sa mère, pouvait être mère tout court ? N’était-elle pas censée aimer Shana de façon inconditionnelle ? La faire passer avant tout ?
Depuis petite, Shana avait compris que le plus important pour sa mère, c’était la drogue. Cannabis. Héroïne. Meth. Coke. Peut importait. Si elle avait une aide de trois cent dollars pour acheter des vêtements à sa fille, elle en utiliserait le moins possible pour Shana et les deux cents cinquante dollars restants, elle les utiliserait pour elle. Pour elle ou pour les hommes avec qui elle traînait. Shana avait toujours espérer qu’un jour, elle passerait en premier. Ou que Cory passerait en premier. Elle avait tort. Et elle en prenait enfin confiance. Jamais sa mère ne changerait. Alors, il fallait qu’elle se batte. Qu’elle se batte pour vivre loin d’elle, pour protéger son fils, pour être indépendante et pour enfin sortir des griffes de sa mère. Oui, elle allait se battre. Elle déverrouilla son téléphone. Elle avait un message de Lucy. C’était un poing levé vers le ciel avec les simples mots : tu peux le faire. Oui, elle pouvait le faire et elle allait le faire.
Total des mots pour la journée : 1746
Total des mots pour le NaNo : 34 658
En plus : un peu dur de me mettre dedans au début puis ça a été. Pas plus fan que ça de cette histoire. Mais bon, je conserve mon avance et j’avoue que ça, ça me plait.