
Depuis que le président avait fermé les portes de la ville, tout le mode cherchait une issue.
C’était arrivé une journée ordinaire, un mercredi. Le maire était en train de faire une allocution sur l’importance des feux dans la ville quand il avait reçu une information de la part d’un de ses associés. Il avait alors blêmi, tout le monde à Garden Side pourrait vous le dire – ils étaient tous dans la ville – puis il avait précipité la fin de son discours. Pourtant Dale Henderson n’était pas un homme pressé de nature. Rétrospectivement, il était facile de voir que c’était un indice. Mais sur le moment, personne ne peut penser que la ville va soudainement fermer ses portes et que le gouvernement va, en l’espace d’une nuit, poser des barrière électrique autour de toute une ville et ses trois milles habitants. Il n’avait prévenu que ses amis et le lendemain, personne qui s’acoquinait de près ou de loin avec Dale n’était encore à Garden Side. Les habitants, eux, n’avaient pas eu le choix.
Rosie était l’un d’entre eux. Elle s’était retrouvé coincé dans cette ville qu’elle n’appréciait déjà pas énormément. Beaucoup de choses avaient été mises en place : télétravail pour ceux qui pouvaient, travail dans la ville pour les autres. La mairie avait été transformée en école virtuelle. Chaque classe, de la maternelle au bac, avait un enseignant, qui apparaissait, tous les jours de la semaine, en visio. Ce n’était pas la même chose mais il fallait bien s’y habituer. Pour les stock de nourriture, personne ne savait trop comment cela se passait. Certains disaient que c’était par avion, d’autres disaient que la grille s’ouvrait une fois par semaine, pour pouvoir faire vivre tout le monde.
Rosie était la seule élève de Garden Side à être en première. À ce titre, elle avait le droit de faire l’école à la maison, avec le même système que dans l’école. À cela près qu’elle n’avait cours que le matin. Malgré ses dix-sept ans, elle se souvenait parfaitement du jour où la clôture avait était mise en place. On croyait à une caméra cachée, une histoire de blague d’adolescents. Certains n’avaient pas cru que la clôture était vraiment électrifiée. Ils n’étaient plus là pour expliquer comment ils avaient fait pour tenter de braver l’oppresseur. La raison était simple : Garden Side était une ville test. Personne ne voulait le croire mais Rosie, elle, l’avait compris très vite. Après la première pandémie de l’ère moderne, en 2020, elle savait que le gouvernement avait un programme de recherche pour savoir comment restreindre la propagation d’un éventuel prochain virus – tout le monde savait qu’il y aurait une seconde pandémie, la seule question c’était quand. Rosie voyait ça comme une réunion au sommet de gens qui ne connaissent pas les problèmes des petites gens. Après tout, pourquoi faire comme si des personnes vivaient là quand on pouvait très bien leur changer complètement la vie du jour au lendemain ? Pourquoi Garden Side ? La question restait entière.
Cela faisait maintenant un an que la ville était bloquée. Comme si tout ce qui se passait à l’extérieur ne les atteignait pas. Et, en quelques sorte, c’était le cas. Pas de crime, pas de terrorisme, pas de violences policières… Rien de ce que l’on pouvait voir de façon assez régulière dans les autres états. La grille les enfermait, mais, elle les protégeait aussi. Il était deux heures et Rosie n’avait plus cours de la journée, comme tous les jours. Elle avait appris qu’elle n’avait pas non plus cours demain, un empêchement de dernière minute de la part de son professeur. Quand elle avait demandé ce que c’était, il avait répondu : « un enterrement, je dois conduire pendant six heures pour arriver ce soir dans ma famille et je ferai le retour demain dans la journée. On se voit mercredi. » Rosie avait cligné des yeux. La notion d’enterrement avait disparu de leur vocabulaire, à Garden Side. Quand quelqu’un mourrait, il était sorti de la ville et incinéré. On demandait à la famille si elle voulait les cendres. Si elle ne les voulait pas, personne ne savait où ces dernières arrivaient. Et pour en savoir, il aurait fallu sortir de la ville. De plus, Rosie avait du mal à comprendre l’idée de conduire pendant six heures. Il n’y avait plus de voiture à Garden Side. Il y en avait mais elles étaient à l’arrêt depuis un an. Tout pouvait se faire à pied alors pourquoi polluer ? Rosie savait qu’elle n’était pas la seule à chercher une façon de sortir. Elle n’avait pourtant personne à aller chercher, personne à retrouver de l’autre côté. Les seules personnes importantes pour elle étaient sa mère, sa petite sœur et sa grand-mère. Les trois étaient enfermées avec elle dans Garden Side. Son père était parti quand elle était petite et elle n’avait jamais eu envie de le voir. Pour quoi faire ? Elle avait eu un super beau-père, Max, le père de Lena, sa petite sœur. Il était mort dans un accident de voiture, un peu avant l’arrivée de la clôture. Le deuil était dur à gérer pour sa mère, mais le fait d’avoir toute la famille avec elle aidait beaucoup.
Personne ne peut savoir ce que c’est, que d’être enfermée pendant toute sa vie à un endroit. Rosie avait vu des reportage sur des personnes en prison, des personne dans des hôpitaux psychiatriques, des personnes enfermées, vraiment, avant l’arrivée de la clôture. Elle n’avait jamais compris cette phrase qu’ils disaient. Elle pensait, aussi maligne qu’elle soit, qu’elle était en capacité de comprendre. Mais elle ne le pouvait pas. Maintenant, tout avait changé. Rosie savait ce que c’était. Et elle savait e que ça faisait. Oui, une cellule et une ville, ce n’est pas la même chose. Le résultat était le même : la privation de liberté. Ne plus être libre d’aller où bon leur semblait. Si la majeure partie des habitants de Garden Side s’y était habituée, Rosie, elle, ne l’entendait pas de cette oreille.
Elle avait eu le temps de visiter les lieux, en un an. Elle se dirigea d’un pas assuré vers la maison qu’elle connaissait désormais par cœur. C’était une vieille bâtisse abandonnée qui lui donnait des frissons quand elle était petite. Max lui avait dit, un jour, qu’elle renfermait un trésor. Sinon, elle ne serait pas si effrayante. Elle en souriait maintenant alors que simultanément, une tristesse lui emplissait le cœur. Max lui manquait, horriblement. Elle poussa la porte en prenant une bonne inspiration et alla vers la cave. La cave était en fait un ancien bunker et la maison avait été construite par dessus. Elle manipula les différentes porte et arriva au tunnel. Quand elle l’avait trouvé, il y a deux semaines, elle n’avait pas pu s’empêcher de regarder vers le ciel pour dire merci à ce brave Max. Il le lui avait dit. Elle avait marché dans le tunnel, pendant longtemps. Puis, un échelle et enfin l’air libre. Un crépitement, derrière sa tête. Celui de la barrière électrique, mais de l’autre côté. Alors, il y avait une façon de sortir, une façon d’échapper à ce contrôle. Rosie n’avait pas le courage de partager tout cela avec la population. Elle avait toujours été d’une obéissance presque trop zélée et elle avait du mal à penser qu’il n’y avait rien d’autre derrière l’enfermement de Garden Side que ce que l’on y voyait : un test.
Elle ferma la porte menant au tunnel et remis la clé sur la chaîne en argent que lui avait donné Max pour son quinzième anniversaire. Savait-il pour le projet d’enfermer Garden Side ? Savait-il ? Elle ne pouvait s’empêcher de se le demander. Elle avait vérifié ses papiers – ceux que sa mère, dans son malheur, n’avait pas encore pris le temps de trier – mais rien ne semblait l’indiquer. Alors pourquoi cet indice, sur la maison ? Pourquoi cette chaîne en argent, sans pendentif, dont il avait dit qu’elle lui servirait un jour ? Était-il un devin ou avait-il des informations ?
Elle se rendit près du ruisseau. La clôture encerclait Garden Side et un peu des environs. Au moins, le gouvernement ne les avait pas laissés là, sans aucune occupations. Les rives du ruisseau, autrefois sauvages et non aménagées, avaient trouvé un seconde jeunesse alors que les habitants avaient fait des arrivées vers ces dernières, tout en préservant l’habitat naturel. Les enfants aimaient à se retrouver là en été en au printemps. Mais ça, c’était le soir. En plein milieu de l’après-midi, il n’y avait personne. Rosie s’assit sur un des bancs et lança machinalement des pierres devant elle d’une main, de l’autre, elle triturait la clé. Elle ferma les yeux. Longtemps. Assez pour ne pus avoir aucune idée de l’espace, de la température. Elle aimait bien le sentiment vivifiant que cela lui procurait, une fois qu’elle revenait à la vie. Comme si elle revenait à la vie. Ses paupières se soulevèrent doucement et elle eut un hoquet de surprise. Elle l’avait souvent vu, là, devant elle, son désormais éternel sourire bienveillant dessiné au coin de ses lèvres – celui que sa petite sœur avait déjà. Mais il était parti, pour toujours. Alors pourquoi Max était-il devant ses yeux, là, bien vivant ? Ou du moins, il le semblait.
_ Max ?
_ Ma petite Rosie. Toujours aussi perspicace.
Elle plissa les yeux. Elle ne croyait pas à ce qu’elle catégorisait dans l’ésotérique. Les hallucinations en faisaient partie. Elle pensait à Max en général et elle l’imaginait. Jamais il ne s’était littéralement matérialisé devant ses yeux.
_ Tu n’es pas réel.
Il haussa les sourcils.
_ Cela dépend à ce que tu décides de croire.
_ Tu sais ce que je crois.
_ Je sais. Mais ton système a changé, depuis un an, n’est-ce pas ?
_ Je…
_ Rosie, tu sais ce que je suis, n’est-ce pas ?
Non, pas l’ésotérique. Non. Rosie ne voulait pas y croire. Elle ne pouvait pas y croire. Elle n’arrivait pas à imaginer que ce soit possible. Dans son système de pensée, elle ne pouvait pas imaginer celle-là.
_ Max.
_ Rosie.
_ Je ne te crois pas.
_ Je m’en doutais.
Il leva les yeux au ciel. Doucement, un halo blanc apparut autour de lui, comme si sa peau brillait de milles feux. Comme si. Alors qu’elle ne voulait toujours pas y croire, elle ne pouvait pas faire comme si elle ne voyait pas les ailes blanche comme la neige qui sortaient du dos de Max. Non, c’était trop. Trop. Elle ferma les yeux.
_ Je sais ce que tu penses Rosie. Mais tu as tort. Je ne suis pas mort par ta faute. J’étais juste… destiné à être ton ange gardien. Tu es la seule qui me voie. Je sais que c’est dur d’y croire, surtout pour toi. Tu n’auras qu’à penser à moi et j’apparaîtrais. Tu verras, c’est comme de la magie.
Elle entendit un bruissement d’étoffe. Quand elle ouvrit les yeux, il n’y avait plus que le ruisseau, encore paisible. Les enfants n’allaient pas tarder à arriver. Avait-elle rêvé tellement elle voulait revoir son beau-père ? Il avait dit tout ce qu’elle voulait entendre. Était-ce une coïncidence ? Elle n’en savait rien. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle avait envie de le revoir. Mais elle ne pouvait pas non plus faire la paix avec cette pensée.
Une phrase de Max lui revint alors en mémoire : ce que tu crois et ce que tu veux ne sont souvent pas la même chose, les deux cohabitent tranquillement, jusqu’au jour où elle s’entrechoquent. Ce jour là, il faudra faire un choix entre ta volonté et ta croyance. C’est dur mais on y arrive tous le moment venu.
C’est le moment de se regarder en face, Rosie.
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