
Franck était un pacifiste. Il n’avait jamais même tué une araignée ou une mouche un peu insistante. De plus, il avait grandi dans les années hippie avec sa mère, qui lui avait appris à respecter la nature, à faire un avec elle. Il avait été traité de « bab » bien avant que cela devienne des hipsters et portait des sarouels quand tout le monde arborait le dernier Levis à la mode. Il avait toujours trouvé ce jean assez inconfortable, pas libre de ses mouvements, engoncé, coincé. Quand il avait fini ses études, il avait tout quitté, pris la route et avait sillonné le monde comme cela. Quelques économies pour les gros trajets en avion, sinon le reste en stop ou à vélo pour une partie. C’était de là que son grand projet, le projet de sa vie, littéralement était né. Il avait été en Amérique du Nord, du Sud, revenu en Europe, passé une petite année en Afrique puis en Asie puis en Australie. Il n’avait pas eu le temps de tout voir et il avait du dépenser beaucoup d’argent pour les visas, quelques hébergements. A l’époque, au milieu des années 80, il n’y avait pas internet pour trouver du couchsurfing ou du woofing. Non, Franck s’était débrouillé avec les moyens du bord. Il avait quelques mini dictionnaires pour les principales langues parlées dans le monde. Il trimballait sa maison sur sa tête, fier. Et ce n’était pas ses parents qui étaient inquiets, loin de là.
Le jour d’un retour qu’il pensait définitif en France, il comprit qu’il n’était pas fait pour ce monde. On était en 1990. Ses parents habitaient en banlieue parisienne, l’avait accueilli comme le fils qu’il était. Enter temps, ils avait eu une fille dont ils n’avaient jamais parlé dans leurs lettres. Franck ne s’en était pas étonné, ses parents étaient des êtres à par de la société, en marge. Ils avaient du travail, bien évidemment, comme tout le monde. Mais ils ne socialisaient que peu. Du moins, c’était comme cela qu’il les connaissait. Le jour de son retour, il découvrit une maison high tech – pur l’époque – avec des jouets de grande distribution, de la nourriture congelés Findus et du Coca. Sa mère, farouche opposante à la mondialisation, avait changé. Quand il avait posé des questions, elle avait répondu que tout le monde cédait un jour ou l’autre.
Non, pas Franck.
Il resta un an chez ses parents, à ne pas faire grand-chose. Officiellement. Dans sa tête, il revivait son voyage, avait même fait plusieurs carnets de ses cinq années de périples à travers le monde. Des écrits, des aquarelles. Il avait acheté des numéros de Nature et découverte, avait aussi troué des photos magnifiques d’endroits qu’il avait vraiment vus et les avait collé dans ses carnets. Dix carnets. Deux par an.
Un an après son retour, il partit de nouveau. Il ne voulait pas de cette vie monotone dans une banlieue de Paris devenue chic avec le temps. Il regarder les voisins et se demandait si ces derniers se rendaient vraiment compte des problèmes du monde actuel. Non, sans doute pas. Tant qu’ils avaient une nouvelle télé pour regarder ces émissions débiles qui passaient le samedi soir. La consommation, toujours, tout le temps. Trop, trop de pub tape à l’œil, trop de tout, trop de fluo et Franck ne savait plus où donner de la tête. Son voyage lui avait appris une chose : il était solitaire – avec l’occasionnelle compagnie d’une femme – et avait besoin d’être seul pour vivre correctement. Il n’était juste pas adapté à ce que la société était devenue. Alors il prit son sac, ses carnets, de quoi tenir une dizaines de jours et partit en fermant la porte. Il mit les clés dans la boite aux lettres avec un mot pour ses parents, un pour sa sœur. Les deux lettres pouvaient être résumé en « désolé, je ne peux plus ». Il partit doucement, en marchant. On aurait pu croire qu’il faisait juste une randonnée un peu longue, ou un GR. Mais non, il partait pour toujours.
Au milieu des parcs régional des monts d’Ardèche, il y a des pans immenses de forêts. Si vous marchez un jour depuis Saint Vincent de Durfort direction Nord, Nord-Est, vous tomberez sur une maison. Enfin, une cabane. C’est la maison de Franck. Il a élu domicile en plein milieu de la forêt. Après avec lu Walden de Henry-David Thoreau, il a compris que c’était de ça, dont il avait besoin. Il lui restait encore des économies de petits boulots qu’il avait fait ça et là, d’héritage en avance que sa grand-mère lui avait donné, aussi. Il acheta un bout de terrain, au milieu de rien et entreprit de faire une maison. Un cabanon simple, une grande pièce, un coin avec son lit. Pas d’eau, pas d’électricité. Toute la cuisine faite au feu. L’eau de pluie récoltée précieusement dans deux citernes qu’il avait trouvées dans une déchetterie. Un système hésitant les premières années. Mais qui avait fini par rouler. Il avait fait de longues lettres aux différentes administration, expliquant qu’il se retirait de la vie en société, qu’il ne voulait pas d’aide, ni devoir quoi que ce soit à cette France ou au monde, tout simplement. En 19955, ce fut la dernière fois qu’il alla dans un supermarché. Il apprit ensuite à reconnaître les champignons, les plantes comestibles, les insectes aussi. Il mettait un point d’honneur à garder les enseignements de sa mère – sauf pour les insectes.Celui qui a déjà mangé un plat de vers lui jette la première pierre. C’était un de ses repas favoris. Assez rapidement, il commença à manquer de choses de bases, alors, il vola. Il allait traite des vaches qui paissaient à un demi jour de marche de chez lui. Il partait au milieu de la nuit et arrivait le matin, avant que qui que ce soit dans la ferme ne soit réveillé.
Mais aujourd’hui, avec l’hyperconnexion de la vie en général, il ne pouvait plus faire comme il le faisait dans les années 90. Aller près des maisons était devenu dangereux et il vivait de plus en plus sur simplement des fruits et des vers. Heureusement, il avait eu la maligne idée de commencer un potager, au tout début, alors il ne manquait pas de nourriture. Mais il savait qu’il avait quelque chose en lui, une maladie. Non, pas une maladie. Un manque. Sans doute en fer ou magnésium ou quelque chose comme ça. Alors, il allait être obligé de tuer un animal pour sa survie. Il le savait, se préparait depuis quelques temps. Il avait créé une lance avec un vieux couteau et une branche robuste qu’il avait trouvé dans les bois. C’était le jour J. Il avait décidé de s’attaquer à un oiseau, sans doute pas assez mais c’était aussi assez petit pour qu’il puisse le supporter. Et, sans surprise, il réussit du premier coup. Pour sa survie, il commença à tuer un oiseau par semaine, pour se sustenter en nutriment. Les mois d’hiver commencèrent à être rude. Il n’avait aucun moyen de stockage pour la viande, alors il tua ce qu’il trouvait. Un chevreuil, un jour, qui lui fit plusieurs repas.
Le monde avait mal tourné. Il arrivait à Franck, pendant les mois d’été, de se rapprocher un peu de la civilisation et de regarder les gens. Il avait plus de cinquante ans et ne comprenait pas ces gens qui passait leur vie à regarder un écran minuscules, à rire et à se prendre en photos. Lui qui passait ses mois d’hiver enfermé chez lui avec une toute petite flamme pour ne pas attirer l’attention, à regarder ses carnet précieusement apportés avec lui, son tour du monde. C’était si loin tout ça. Si loin. Il relisait pour la millième, millionième fois Walden, sur son exemplaire tout déchiré. Il s’en fichait, il connaissait par cœur ce que Thoreau disait, et il était toujours en accord avec le philosophe. Et il fut d’accord jusqu’au dernier souffle.
Si vous marchez depuis Saint Vincent de Durfort direction Nord, Nord-Est, pendant une journée, vous tomberez sur un cabanon abandonné. Dedans, vous trouverez un lit poussiéreux, quelque chose qui ressemble à une cuisine, une table, une chaise. Dans un coin, un sac qui pourrit. À l’intérieur, du papier sur lequel on dirait qu’on a collé quelque chose et qu’on a peint, écrit. Ce n’est pas lisible par celui qui ne les as pas écrit. Rien ne reste. Un des carnets se délite complètement si on le prend dans les mains. Près du lit, on trouve un exemplaire vieux de Walden ou la vie dans les bois. Il est annoté, souligné, entouré. On ne devine plus les lettres ni les phrases. Si on va derrière le cabanon, si on est attentif, on peut voir un endroit où l’herbe n’est pas exactement pareil. Si on ne connaît pas l’histoire, on ne peut pas savoir que c’est à cet endroit que Franck s’en enterré vivant, attendant la mort pour ne pas avoir à subir le déclin de la société.
Ce que tout le monde voyait comme des avancées incroyables, il l’a vue comme une lente descente vers l’esclavagisme de l’homme aux technologie. Le fait de devoir avoir le dernier gadget à la mode prodigue une sorte de nécessité et oblige l’home à une régularité, dans sa consommation. Consommation. Le mot le plus honnis du vocabulaire de Franck, celui pour lequel il a décidé de partir.
En banlieue parisienne, un couple a reçu une lettre. C’était une lettre indiquant qu’un chasseur avait trouvé une habitation abandonnée sur une parcelle en Ardèche. La parcelle appartenait à leur fils, Franck. On ne l’a pas retrouvé. Cela ressemblait presque à un télégramme, avec les informations essentielles, mais aucune compassion, aucune compréhension de la part de l’administration. Quand il reçurent cette lettre, les habitants de la maison haussèrent les épaules. Le mari dit à la femme : « ça doit être pour les anciens propriétaires » puis est sorti de la pièce. La femme, elle, avait les larmes aux yeux, sans que son mari ne s’en rende compte. Franck, c’était son frère.
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En plus : j’ai finiiiii ! Mais je continue quand même les deux prochains jours, parce que j’ai dit que je faisais 30 jours !