NaNo Prompts 2022 – Jour 2

En même temps, elle ne pouvait s’empêcher de penser que ce n’était pas vraiment de sa faute.

Depuis l’année dernière et la perte brutale de Marc, Victoire avait été parfaitement heureuse dans son deuil. Après une période jugée respectable par la plupart de ses amis – qui n’avait duré que trois mois, quatre tout au plus – les uns et les autres avaient commencé à faire des allusions sur le fait qu’elle devrait se trouver quelqu’un de nouveau, tourner la page. Victoire avait horreur de toutes ces phrases bateau que l’on sort aux veuves, celles que l’on sort aux endeuillées. Elle avait perdu son mari, ce n’était pas rien. Si ses amis avaient accepté sa détresse, ils avaient fini par en être lassés.

Selon la psychologue de Victoire, ce n’étaient pas des vrais amis. Peut-être mais c’était la seule famille qu’elle avait dans la région. Ses parents, depuis leur départ à la retraite, n’étaient quasiment jamais plus dans le pays – ils avaient entrepris de faire le tour du monde. Ils étaient revenus, pour l’enterrement de Marc, mais étaient partis presque aussitôt après. La réponse de sa mère quand Victoire avait osé demander de l’aide et de la compagnie : « Oh chérie, je suis désolée, mais le Mali n’attend pas ». Merci Maman.

Alors elle s’était concentré sur la famille qu’elle avait créée à Rouen. Banale, pleine de trous, pas assez de personnes sur qui vraiment compter mais elle était déjà bien. Et ils étaient là.

Avec le temps, elle s’était particulièrement rapproché de Joanna, une bonne collègue de bureau devenue une amie très chère. Et aussi de Chad, le meilleure ami de Marc. Joanna avait fini par la pousser à télécharger une application de rencontre. « Tout le monde le fait » avait-elle dit, « ça ne t’engage à rien ». Au début, Victoire avait trouvé le concept assez intéressant, mais ne dépassait pas trop les premières étapes de la conversation. Elle était froide, le savait mais n’était pas prête à remplacer son mari. Puis, elle avait commencé à discuter avec Mario, un italien pur souche qui avait lancé sa pizzeria dans le centre de Rouen. Un cliché, soit, mais une conversation intéressante et il avait compris tout de suite quand elle lui avait parlé de Marc. Elle ne s’était pas attardé mais elle l’avait mentionné, pensant que l’honnêteté était toujours préférable. Elle avait également été honnête avec Pascal, un quinquagénaire fraîchement retraité qui gardait sa bonne humeur et faisait un tas d’activités toutes plus folles les unes que les autres.

Elle avait commencé à parler aux deux en même temps, sans trop y voir de malheur, parce qu’elle n’imaginait pas qu’elle allait les rencontrer un jour. Et, sans faire attention, elle l’avait fait et ce jour, c’était aujourd’hui, pour les deux.

Elle regarda son téléphone avec une angoisse nouvelle, ou plutôt un retour d’angoisse. Si elle n’avait pas quarante ans, elle se dirait que deux rendez-vous galants dans la soirée, c’était une aubaine. Encore plus de choix. Mais elle avait passé le temps des frivolités et elle voulait quelqu’un avec qui tenir sur le long court. Ou au moins un petit court.

Victoire n’aimait pas les conflits. Elle ne voulait pas inventé un mensonge qu’elle servirait à l’un sur un plateau d’argent, expliquant son absence, alors qu’elle voyait si ça fonctionnait avec l’autre. Et si elle se trompait ? Encore bloquée depuis la mort de Marc, elle n’arrivait pas à savoir ce qu’elle ressentait, si elle ressentait quelque chose. Aucune des deux conversation n’avait évoqué le sexe, juste une rencontre. Mais Victoire savait que c’était en toile de fond, elle avait entendu beaucoup d’histoire sur les sites de rencontre. Et pas seulement par Joanna. Son amie était adepte des sites mais elle était aussi adepte des déceptions Chad aussi lui avait parlé de quelques rencontres qu’il avait faites par ce biais mais rien de bien sérieux, pour le citer. Alors quoi ?

L’heure tournait et il fallait prendre une décision. Ce n’était pas faute de relire les deux conversation, cela ne lui donnerait pas la solution miracle. Les deux hommes étaient différents et oui, c’était grisant de leur parler mais elle devait savoir quelle était la solution. Dans ses contacts, elle trouva le nom de Joanna et cliqua sur « appeler ».

« Vous êtes bien sur la messagerie de Joanna laissez moi un message ».

_ Joanna, c’est Victoire. J’aurais besoin de tes conseils. Je me trouve dans une situation compliqué, à cause de l’appli et je voulais que tu m’aides. Rappelle moi quand t’as le message, s’il te plaît.

Elle ne se sentait pas de lui évoquer toute la situation sur un répondeur. Déjà qu’elle avait ces machines en horreur depuis le décès de Marc – un simple message d’un policier lui avait appris la nouvelle – alors ce n’était pas pour les utiliser désormais. Joanna avait un poste plus gradé qu’elle dans leur entreprise, elle devait encore être au travail, voire en réunion. Alors, Victoire n’insista pas.

Elle sortit sur le balcon et alluma une cigarette. Elle avait réussi à arrêter, quand elle avait connu Marc parce qu’il n’aimait pas l’odeur que cela lui donnait. Dix ans et un nouveau statut marital avait eu raison de sa bonne volonté. Cela avait commencé le soir où elle avait appris la mort de Marc. Une cigarette, c’est quoi ?

La sonnette retentit. Elle écrasa le mégot et se dirigea vers la porte. Un livreur de roses lui tendit un bouquet. Elle le remercia et posa les fleurs sur la table de la salle à manger. La carte disait « Victoire, je suis désolé de vous annoncer ne pas pouvoir honorer notre rendez-vous de ce soir. Ma fille est arrivée hier à l’improviste avec ses enfants, je ne peux pas les laisser tomber. Ce n’est que partie remise. Bises. Pascal« . Vieux jeu mais terriblement charmant. Et cela réglait le problème.

Son téléphone sonna. Numéro inconnu ?

_ Allô ?

_ Victoire ?

_ Oui ?

_ Je… C’est Mario, du site de rencontre ?

_ Oh, bonsoir. Je… j’allais commencer à me préparer.

_ Je suis désolé, Victoire. Mon sous-chef est malade et je ne peux pas encore me permettre de ne pas ouvrir la pizzeria en semaine. J’espère que vous comprenez.

La tête lui tournait mais elle réussit à murmurer qu’elle ne lui en voulait pas, qu’elle comprenait etc… Elle qui, quelques minutes avant se triturait l’esprit pour savoir lequel des deux annuler, elle n’avait plus de problème. C’était une bonne chose, n’est-ce pas ?

*****

Depuis quand n’avait-elle pas eu un vraie bonne gueule de bois ? Cela devait sans doute remonter à son mariage ou bien celui d’un de leurs amis. Ou alors les quarante ans de l’un d’entre eux ? Impossible de se souvenir et était-ce vraiment important ?

Elle avança à tâtons dans la chambre et se rendit dans le séjour. La lumière lui brûla les rétines et elle plaqua ses mains contre ses yeux. Ce n’était plus de son âge, ce genre de bêtises. Elle engloutit une demie-bouteille d’eau dans la pénombre de la cuisine tout en essayant de se rappeler de ce qui avait bien pu se passer la veille. Elle se souvenait des annulation des deux mecs de l’appli mais après ? Elle entrouvrit la porte du séjour. La lumière était supportable – enfin, un peu. Elle avisa de deux verres de vins sur la table basse, deux bouteilles, une de rouge et une de blanc, toutes les deux vides.

Quand elle vit son tee-shirt sur le canapé, elle fronça les sourcils. Puis sa jupe, par terre, sur le chemin de la chambre. Son soutien-gorge était accroché à la poignée. Pourtant, elle s’était réveillée seule, elle n’avait senti personne à côté d’elle. Avait-elle tellement bu qu’elle avait fait un strip-tease seule ? Ce n’était pas son genre. Pas du tout.

Bourrée, cela dit, ça pourrait le devenir. Non, elle avait passé l’âge de faire des bêtises.

Elle ramassa les affaires et les posa sur la table. Le bouquet de roses était encore intact. Elle jeta le verre et mit les verre au lave-vaisselle. Une des rares qui n’avaient pas changé avec la mort de Marc était son goût pour un intérieur bien rangé. Elle but encore u peu d’eau puis alla s’asseoir dans le canapé. Tout était mieux désormais. Rien ne s’était passé. Non rien.

Elle entendit un bruit dans la salle de bain. De l’eau. De l’eau qui bouge ? Comme quelqu’un qui prendrait un bain ? Depuis une demie-heure qu’elle était réveillée, elle n’avait rien entendu ? Elle n’était pas seule ? Son pouls commença a s’accélérer et elle composa le numéro de la police par réflexe. L’opératrice décrocha, elle dit juste qu’elle n’était pas seule dans son appartement qu’il fallait que quelqu’un vienne, vite. Elle donna son adresse et raccrocha. Tout cela, en chuchotant. Elle attrapa un couteau de cuisine, garda son téléphone en main et remonta tout doucement le long du couloir. Un douce chaleur sortait par l’interstice au bas de la porte et qui que soit la personne à l’intérieur, elle avait l’air de prendre tout son temps.

Devant la porte, elle entendit même un lointain bruit, ressemblant à une chanson de Brassens. Pas le temps de réfléchir, elle ouvrit la porte et hurla :

_ Je suis armée, sortez de chez moi ! J’ai appelé la police !

La personne hurla puis éclata de rire.

_ Merde, tu m’as fait peur. J’y ai cru.

La voix, elle la connaissait. Par cœur. Elle ouvrit les yeux qu’elle avait fermé par réflexe et vit Chad, nu dans sa baignoire.

_ Chad ?

Ce fut comme sur le chaînon manquant faisait démarrer la machine. Le cerveau se mit en route. Victoire vit Chad arriver la veille. Elle lui raconta ses déboires sur le site. Première bouteille de vin. Puis la deuxième, le rouge, la seule façon de faire en sorte qu’elle soit ivre. Puis le strip-tease, pour Chad. Les mains de Chad enlevant le soutien-gorge. La bouche de Chad, partout. Le lit, dans lequel ils avaient…

Le couteau tomba au sol dans un bruit sourd.

Elle se cacha le visage de ses mains e revit toutes les images affluer dans sa tête. Ils n’avaient tout de même pas fait ça ? Pas ici ? Dans le lit qu’elle avait partagé avec son époux à elle et son meilleur ami à lui ? Ce n’était qu’une blague, un cauchemar et elle allait se réveiller.

_ Victoire ? Un problème ?

Un coup sur la porte l’empêcha de répondre. « Police, ouvrez ! » Chad se tourna vers Victoire et haussa les sourcils.

_ Merde, tu déconnais pas !

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