NaNo Prompts 2022 – Jour 29

La majorité de la population ne connaissait même pas le mot couleur. Dix ans auparavant, quand la comète avait explosé sur la terre, personne n’avait de recul pour dire ce qui allait se passer. Joe se souvenait du son que ça avait fait puis plus rien. Plus rien, plus aucun son pendant deux jours. Lui même était dans un état second, comme tout le monde sur terre. Lorsque la population avait émergé de ce coma généralisé, la majeure partie des personne ne voyait plus les couleurs. Joe, voyant que toute sa famille était affectée, n’avait pas osé dire qu’il voyait encore parfaitement bien. Dans le monde entier, une seule question : est-ce que cela changeait quelque chose ? La réalité : pas vraiment. Pour certaines croyances, oui, cela changeait tout. Mais dans la majeure partie des cas, rien ne changeait. Les visuels étaient toujours les mêmes, seulement ils étaient désormais en noir et blanc. Joe avait grandi dans ce monde que lui voyait différemment que les autres. Le cinéma changea énormément. Plus la peine de faire attention aux couleurs des différents costumes. Quand c’était assez proche, on s’en accommodait. Joe voyait que la ceinture n’était pas de la même couleur que la robe, amis il était bien souvent le seul. De la même façon, dans la rue, personne ne faisait attention à ce qu’il mettait, ce qui donnait bien souvent des situations très drôle de couleurs qui n’allaient pas du tout ensemble, mais que Joe voyait.
Avec les années, les personnes voyant les couleurs diminuaient. Pour la majeure partie d’entre elles, sans qu’on ne sache pourquoi, c’étaient des personnes âgées lors de l’impact de la comète. Le problème, c’était que le gouvernement voulait comprendre pourquoi certaines personnes avaient été comme immunisées au phénomène et d’autres non. Joe n’avait jamais rien dit. Il était futé et il voyait bien quand des personnes officielles venaient à l’école. Elles le faisaient faire des tests, résoudre des problèmes qui leur faisait comprendre qui voyait encore les couleurs ou non. Joe avait toujours fait en sorte de ne pas être repéré. Il ne savait pas où allaient ceux qui n’avaient pas compris le principes ; ce qu’il savait c’est qu’il ne les avait jamais revus. Le gouvernement faisait sans doute tout type d’expérience pour accroître leur connaissance, essayer de voir ce qui pourrit expliquer ceci ou cela.
Joe continua de grandir, de lus en plus conscient qu’en perdant la couleur, une bonne partie de l’industrie avait aussi perdu des part de marché. Qui n’achète pas du coca parce que c’est rouge et qu’on le voit mieux dans le rayon ? Joe avait conscience de tout cela. Il avait emprunté des livres sur le sujet, qui avaient commencé à fleurir dans les années qui avaient suivi la comète. Des explications sur ce qu’étaient les couleurs, comme l’œil humain était censé les percevoir. Et surtout, ce qui intéressait le plus Joe, c’était de savoir comment sa famille entière percevait les choses désormais. Mal, comme il s’en doutait. C’était fade, sans goût.

Arrivé dans la vie active, Joe voulait passer sa vie à l’étude de la couleur. Il avait déjà tenté plusieurs expériences, qui avaient toutes échoués. Il avait repeint un morceau de mur en vert et avait écrite ceci en vert un toute petit peu plus foncé : si tu vois ceci, tu peux me contacter puis il avait ajouté son numéro de téléphone. Les deux verts, pour une personnes ne les voyant pas, se fondaient parfaitement, alors, elles ne voyait qu’un pans de mur un peu plus foncé que le reste. Personne ne l’avait appelé. Il faut dire que c’était à prévoir. Il s’était posté pendant plusieurs jours en embuscade, pour essayer de démasquer les éventuels coloristes qui existaient encore. Les coloristes. Joe en était un.

Depuis deux ans désormais, il était entré en tant que chercheur dans le prestigieux Institut de la Couleur qui se trouvait à Genève. Un immense bâtiment, avec uniquement des personnes qui faisait des expériences pour tenter de comprendre pourquoi les coloristes avaient encore la vision des couleurs ou non. Joe était devenu un des chercheurs qui faisait des expériences sur les personnes comme lui. Les coloristes qu’il voyait le regardait toujours bizarrement. Était-ce parce qu’il était le seul à ne pas mettre du jaune avec du orange ou du rouge avec du violet ? Peut-être. Il optait toujours pour des vêtements noirs en dessous de sa blouse blanche de docteurs. Une de ses patiente s’appelait Sofia. Il était assez proche d’elle, il la comprenait, elle avait l’impression d’être comprise. Il était un des rares médecins à ne pas pratiquer d’anesthésie, parce que ses recherches portaient principalement sur les réactions du cerveau face aux couleurs et il n’avait pas besoin d’anesthésier les gens pour cela. La plupart du temps, il leur mettait un casque extrasensoriel – qu’il avait conçu lui-même et testé sur lui-même, mais ça, personne ne le savait – qui permettait de voir les zones actives lorsque les individus voyaient telle ou telle couleur. Le problème avec Sofia, c’était qu’elle mentait régulièrement.
Un exercice simple était de montrer des bandes de couleurs et d’attendre que la personne donne le nom de la couleur dont il s’agissait. La plupart du temps, quand Joe montrait la bande jaune, Sofia disait blanc ou bien tout autre chose. Suite à une nouvelle série de mensonges, Joe regarda Sofia droit dans ses yeux bleus et lui dit :
_ Vous savez, même si on ne voit pas les couleurs, je sais que cette bande là est orange et pas marron.
Il vit Sofia déglutir et puis elle baissa les yeux. Elle avait à peine vingt ans, avait été emmené plus ou moins de force de ce qu’il avait compris, arraché à sa famille, sa ville, ses études pour venir vivre ici. Les patients / cobayes vivaient dans une aile particulière du bâtiment. Joe le savait, ils n’avaient pas à se plaindre. C’était des appartements grand luxe avec tout ce que tout le monde aurait voulu avoir. La seule chose qui pouvait les refroidir, c’étaient les couleurs qui avaient été choisies : orange et gris dans chaque appartement, avec quelques touches de violet et de vert. Il le savait, ceux qui arrivaient ici repeignaient la majeure partie du temps. Lui, qui vivait dans une autre aile, avait du faire avec. Il était le seul médecin coloriste, embusqué, et ne voulait pas que cela se sache, encore aujourd’hui. Il vivait avec les couleurs mal accordées, parfois compliqué à apprécier pour les yeux humains normaux. La normalité qui se perdait.
_ Sofia, pourquoi est-ce que vous mentez ?
Elle leva les yeux vers Joe et dit tout bas :
_ Je n’ai aucune envie d’être ici. Je ne veux pas faire ça toute ma vie. Je… Vous ne pouvez pas comprendre.
Il le pouvait, oh comme il le pouvait. Il se retint fort d’ouvrir la bouche et pencha la tête sur le côté. Il savait que c’était dur de ne pas voir les siens – lui-même ne voyait plus ses parents qu’une fois dans l’année, parfois pas. Mais il comprenait parfaitement que la situation était complètement différente. Il avait fait le choix de venir ici.
_ Docteur, vous avez trouvé quelque chose qui explique pourquoi… pourquoi je vois les couleurs et pas vous ?
_ Pas encore. Nous y travaillons, vous le savez et nous avons besoin de vous pour arriver à comprendre.
_ Mais cela ne changera rien, n’est-ce pas ? Vous ne verrez plus jamais que cette bande est rouge, par exemple.
_ Cette bande est verte, Sofia.
Un silence assourdissant s’installa dans la pièce. Il repassa les trois minutes précédentes dans sa tête. Alors qu’elle lui posait les questions, elle avait mélangé les bandes de couleurs. Elles n’étaient plus dans l’ordre qu’il était censé connaître par cœur. La seule façon qu’il sache que cette bande de couleur était verte, c’était une pure coïncidence ou bien alors la vérité. Sofia plissa les yeux.
_ Je le savais !
_ Sofia, je vous en prie.
_ Je le savais. Vous n’êtes pas comme les autres. Je vous ai observé depuis que je suis arrivée. Vous êtes prévenant, vous ne mettez jamais de lumière trop forte, vous fermez les yeux quand vous rallumez la lumière parce que vous aussi elle vous fait mal. Vous êtes coloriste !
Joe pouffa et se leva de sa chaise. Elle avait raison mais il se l’était promis depuis la comète : si un jour il est démasqué, il mentira, jusqu’au bout. Il ne peut pas être un docteur chercher en couleur et un coloriste, ce n’est pas possible.
_ Je ne suis pas coloriste. C’est ridicule.
_ Alors expliquez moi comment vous savez la couleur de la bande que j’ai montrée ?
_ Une coïncidence. Une simple coïncidence.
_ Pourquoi mentez-vous ? Pourquoi… pourquoi, alors que vous êtes comme nous, vous acceptez de faire des expérience sur vos semblables, votre communauté ? Je ne comprends pas.
_ Vous délirez. Notre séance est terminée. Je vous vois demain, à la même heure.
Sofia sortit de la pièce. Elle y revint un instant et nota quelque chose sur un papier. Puis le bruit de ses pas s’éloigna dans le couloir. Joe prit le papier dans ses mains.

Je n’abandonne pas. Je ne dirais rien. Je veux des réponses.

Le lendemain matin, Joe n’eut pas le courage d’aller travailler. Il demanda un congé exceptionnel qui lui fut accordé, puisqu’il avait un dossier exemplaire. Il alla se promener dans le grand parc attenant à l’Institut. Il s’assit sur un banc, encore indécis sur ce qu’il devait faire. Partir ? Mentir ? Dire la vérité ? Cette dernière option lui donnait le vertige.
_ Docteur Joe ?
Il sursauta. Sofia. Flûte.
_ J’ai cru que vous étiez malade.
_ Je…
Il ne continua pas sa phrase. Le fait qu’il n’aie pas voulu la voir voulait tout dire. Il avait passé dix ans de sa vie à faire tout pour ne pas être démasquée et une gamine de vingt ans le comprenait, en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Dur à avaler.
_ Docteur Joe… Joe. Je sais que vous êtes un coloriste. Je le vois. Comme vous voyez que j’ai mis du vert avec du vert aujourd’hui. C’est moche, n’est-ce pas ?
Il ne répondit pas.
_ Je vous l’ai dit, je ne révélerai pas votre secret. Mais il va falloir m’avouer le votre. Et surtout m’expliquer ce que vous faites ici. Pourquoi faire cela alors que vous savez parfaitement que c’est impossible que les autres soient un jour comme nous ?
Joe la regarda dans les yeux, ses magnifiques yeux bleus profond. Elle ferma les paupières plusieurs fois et il se retrouva avec des petits points rouges dansant dans son champ de vision.
_ Notre communauté a aussi besoin de réponse, Joe. Je sais que vous voyez les points rouges. Nous les voyons aussi. Certains d’en nous commencent à ne plus voir aussi bien. D’autres perdent la couleur. Je ne dirais rien parce que je sais que vous pouvez nous aider, peut-être nous soigner.
Elle soupira et regarda au loin.
_ Vous savez, depuis que je suis petite, tout le monde me dit que je suis spéciale. Sans doute est-ce vrai. Je veux me battre. Je veux que l’on nous reconnaisse comme plus que juste des cobaye pour comprendre quelque chose que personne ne peut comprendre. Vos collègues ne sont pas aussi sympathiques que vous. Ils nous détruisent. Est-ce ça, le but ? Nous détruire.
Il se passa plusieurs minutes avant que Joe ne réponde :
_ Je ne sais pas. Je ne veux pas mourir. Et je ne veux pas que des coloristes meurent. Alors j’ai fait tout ce que je pouvais pour… pour infiltrer les rangs de cette société. Accéder à l’Institut, c’était la seule chose qui m’empêcherait d’être questionné sur ma vision. Pour toujours. Être à l’abri, c’est tout ce qui a toujours compté pour moi. Je ne savais pas, pour les autres… Je suis désolé.
_ Alors, vous allez nous aider ?
Une demie heure plus tard, Joe hocha la tête. C’était la première fois qu’on le greffait à une entité. Alors, il ne pouvait pas se délester, juste parce que ce n’était pas pratique. Après tout, quelque part, lui aussi était spécial. Comme Sofia.

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