Suite à une conversation avec ma maman

C’était le mois dernier. J’étais en vacances et on est allé voir mes cousins – du côté de ma mère – en Ardèche. On est resté un peu chez eux puis on est allé voir ma Grand-Mère paternelle, qui est aussi en Ardèche. Environ une heure et demie de route seulement pour aller chez elle, cela faisait trois ans que je ne l’avais pas vu, je n’allais pas dire non.

Je monte dans la voiture et je demande à ma mère au bout de quelques minutes :

_ Ca te soule d’aller chez Grand-Mère ?

_ Non. Mais bon, j’attends pas après plus que ça.

_ Parce que y a rien à faire chez elle ou parce que tu l’aimes pas ?

_ Aucun des deux.

Il se passe un temps et elle ajoute :

_ J’aime pas aller dans la famille de ton père quand il est là. J’aime pas comment ile st quand il est dans sa famille.

Et j’ai eu beau lui demander de préciser, elle n’a pas su le faire.

On arrive le soir chez ma Grand-Mère et je crois que j’ai commencé à comprendre. Son frère et sa mère, c’est son noyau familial de base. Sa base à lui, son schéma à lui. Et la famille qu’il a construite avec ma mère, bah c’est autre chose.

Dès ce premier soir, j’ai senti que c’est comme si sa famille telle que moi je la connais donc mon noyau à moi (mon père, ma mère et mes frères) était moins important que son noyau de base à lui (sa mère et ses frères). Je pense que je comprends. Parce que, finalement, il veut profiter de les voir parce qu’il ne les voit pas souvent alors que nous, il nous voit quand-même assez régulièrement – surtout moi.

Quelque part, j’ai compris ce que voulait dire ma mère. Il n’est pas le même quand il est avec nous et quand il est avec sa famille à lui, son cercle, son noyau. Je pense que c’est parce qu’il pense – et c’est peut-être vrai – que ce sont des personnes qui peuvent plus facilement le comprendre parce qu’ils le connaissent depuis plus longtemps. Pourtant, il omet quelque chose de super important : sa famille ne vit pas avec lui tous les jours. Aussi, je ne suis pas certaines qu’ils puissent tous comprendre son handicap. Je sais plus si je l’ai dit ici ou pas mais mon père est malentendant.

Exemple au repas quand on est arrivé : j’explique un truc et il sourit en disant « eh oui ». Je regarde ma mère, elle me fait un signe. Je lui dit « tu n’as pas compris ». Il a avoué que oui. Mon oncle et ma grand-mère, qui étaient là, n’avaient pas vu ça. Ils ont moins le sens de voir quand il fait semblant d’avoir compris et quand il a vraiment compris.

J’ai aussi remarqué qu’il fait comme s’il n’était pas malentendant. Comme si tout allait bien. Comme s’il ne se passait rien. Sauf que ça fait trente et un an que tu as des appareils donc non, ce n’est pas rien.

Le lendemain, je suis saisie par le fait que dès que sa mère est dans la pièce, il est centré sur elle. Et dès qu’elle disparait, il peut parler avec les autres. Comme si, je sais pas…. Je comprends, il veut passer des moments avec elle, les moments qu’il n’a sans doute pas pu passer avec son père avant qu’il ne décède. Mais si flagrant. Ou alors est-ce parce que nous ne restons pas longtemps ?

Toujours ce même matin, le premier matin, mon père me regarde et me dit : « faut que tu prennes tes cachets ! » l’air un peu paniqué. Je le regarde et lui rétorque que ce n’est pas l’heure. « Oui mais t’oublies pas, hein ! » Jamais quand je dors chez eux à Nantes il ne me dit ça le matin, jamais. Et là, j’ai compris le truc. J’ai tout compris en analysant cette injonction de prendre mes cachets.

Il est le protecteur de sa mère.

Celui qui veille sur elle, qui la réconforte, qui la fait rire. Bref, son garde du corps. Il ne voulait pas que je prenne mes cachets parce que je dois les prendre, il voulait que je les prenne pour que je ne fasse pas de crises pour que sa mère ne voit pas ça et ne se trouve pas mal. Pareil, au repas de midi, ma grand-mère (elle est gentille, je dis pas) essaye de s’intéresser à ce que fait ma mère. Le truc c’est que ma mère lui a déjà expliqué comment un truc fonctionne au moins dix fois mais ma grand-mère ne retient pas parce que juste elle s’en ballec. Ma mère s’agace et direct mon père lui dit : « mais explique au lieu de penser que tout le monde comprend ». Bam rempart de protection contre sa femme pour favoriser sa mère. Pour ne pas qu’elle se sente trop bête ou ignorante ou que sais-je.

Il y en a sans doute eu d’autres mais aucun ne m’a marqué autant que celle du dernier soir. Contexte : il est 21h, par là autour. On joue ensemble, ma mère et moi. Bon, soit, on fait un peu de bruit parce qu’on discute. Et là, mon père – rappelez vous, celui qui est malentendant, qui était à côté de nous pendant au moins vingt minutes – passe pour aller se coucher et nous dit « chut, laissez grand-mère dormir ». Je l’ai regardé comme si j’allais le tuer, vraiment. J’ai eu une bouffée de haine d’un coup. J’ai envie de pleurer rien qu’en écrivant ces lignes parce que je suis de nouveau agacée.

Alors premièrement, si on fait trop de bruit, Grand-Mère, elle peut venir nous le dire, elle a une voix, une parole, elle est pas démunie la pauvrette, dans son coin, pour ne pas nous parler. Nan mais c’est quoi là ? De deux, la façon dont il l’a dit, on aurait dit qu’il parlait à deux gamines. Alors je sais que je serais toujours sa fille mais bordel j’ai trente-et-un an et l’autre personne présente c’était SA FEMME ! Je trouve qu’il y avait une autre façon de le dire que de nous engueuler limite parce qu’on joue. Oups désolé de ne pas passer notre séjour à faire des promenades, du feu et lire des merdes que tu trouves et que t’as déjà lu quinze fois sinon plus.

Et le pire du pire : je sais que si je lui en parle, il va rejeter la faute sur…. roulement de tambour… moi parce que je veux toujours être le centre de l’attention, que je sais pas gérer mes sentiments, qu’il n’y a pas que moi sur terre et que je comprends pas et patati et patata.

A l’heure où j’écris ces lignes, nous partons demain. Je pense que je vais passer une partie du voyage demain à ressasser – je me connais – et à ruminer dans mon coin. Parce que je trouve que traiter les gens de la sorte, ça ne se fait juste pas.

En global, je pense que tout le monde est un peu pareil. Juste là, je sais pas, c’est comme si je découvrais mon père dans un autre contexte et je pense que je ne viendrai plus voir ma grand-mère avec lui. Pas fun de se sentir mal et de penser ce genre de choses de son père. Il est super et je l’adore. Juste pas quand il est dans sa famille.

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