NaNo Prompts 2022 – Jour 14

Gemma avait pris cette habitude depuis un an. Depuis qu’elle était revenue dans la petite ville de Fleetwood, sa ville natale dans les fin fond des Cornouailles. Elle avait toujours aimé sa ville, mais une fois qu’elle eut lâge de partir, elle le fit. Parce qu’eelle avait toujours aspiré à plus.

En un sens, le décès de son père arriva à point nommé. Premièrement pour lui, qui souffrait depuis bien trop longtemps de sa maladie. La mort, une délivrance. Gemma avait mis du temps à la voir comme cela. Pour la famille, les proches, il est difficile de comprendre que l’on ne veut plus vivre dans ce monde, pas de cette façon. Le cancer lui ravageait tous les organes et elle savait que ce n’était pas une vie. Qui veut se battre toute sa vie, juste pour survivre, même pas pour vivre. Son père le lui avait confié, alors qu’elle était venu le voir, un peu avant la fin : « Gemma, je ne vais pas bien. Je ne crois pas qu’on se reverra ». Elle avait dit qu’il mentait, qu’elle allait revenir avant qu’il ne parte. La formule consacrée. « Il est parti ». Comme s’il allait revenir. Pourtant, le lendemain de sa mort, lorsqu’elle avait appelé sa famille, la famille de son père, ses anciens collègues, bref tout le monde sur la liste qu’il avait soigneusement faite, personne n’avait demandé quand il revenait. Tous savaient que c’était un voyage sans retour.

Elle traversa le cimetière et arriva sur la tombe de son père. Elle est la seule tombe neuve, dans un endroit plutôt vieux du cimetière de Fleetwood. Carl Fitzgerald était presque un monument de la ville à lui tout seul. Il faisait partie d’une des familles qui avait vécu dans les premières maisons. Le village s’était développé autour de la famille Fitzgerald et la famille Grabe. Dans son enfance, Gemma avait souvent entendu des histoire de rivalité, à la Roméo et Juliette ou tout autre histoire manichéenne de la sorte. Elle n’y avait bien évidemment jamais prêté attention. C’était les usages, dans les petites villes, d’avoir deux familles qui tiennent la ville et qui font les mythes urbains de la commune. Carl, lui, n’avait jamais trop participé. Il était impliqué dans la vie de la commune, en avait été maire, pendant quelques années puis avait continué à animé le téléthon annuel, aidé à la distribution de soupe aux sans abris, animé des ateliers dans l’école. Jusqu’à ce que le cancer arrive.

Gemma s’arrêta devant la tombe. Elle se remémora le discours du maire actuel : « Carl Fitzgerald. Un nom de famille connu, pou un homme humble qui a illuminé la ville de sa présence. Nous ne l’oublierons pas. » De fait, un parc avait été renommé après lui, alors personne ne pourrait oublier le père de Gemma. Le père de Gemma. Elle avait toujours été la fille de Carl. C’était ainsi que les gens la connaissaient. Pas comme Gemma. Elle relu l’inscription simple qu’elle avait du choisir seule : « Un père et un homme humble mais si parfait ». Il était difficile de résumer une vie dans une phrase. Joe, le gérant du funérarium, connu comme « le Croque-Mort », avait suggéré plein de choses à Gemma – lui aussi connaissait bien Carl, après tout. Mais rien ne lui avait parlé. Elle avait tout de même tenté d’appeler sa mère pour avoir des idées, mais cette dernière n’avait pas été d’une grande aide.

La vie maritale était la seule chose que Carl n’avait pas réussi. La mère de Gemma, Linda, avait quitté Carl au beau milieu de l’été 1985, alors que Gemma n’avait que neuf ans. Inconsolable, il avait pourtant, dans cette terrible épreuve, fait figure de proue dans leur nouvelle vie. Il avait expliqué les choses à Gemma, comme il le pouvait. Il avait fait en sorte qu’elle puisse continuer de voir sa mère, même si cette dernière avait, sur un coup de tête, déménagé aux Pays-Bas. Carl l’avait amené et était venue la chercher pour des vacances, même sur une semaine. Avec le temps, Gemma avait fini par pouvoir y aller toute seule. Un jour, elle avait demandé à sa mère pourquoi elle était partie. Carl n’avait pas compris ou pas voulu comprendre et les explications qu’elle avait eues quand elle était petite ne lui suffisaient plus. Il fallait du vrai, du concret. « Ce n’était pas l’homme de ma vie, c’est tout » avait été la réponse de sa mère. Quand Gemma avait demandé si elle avait, ne serait-ce qu’à un moment pensé à elle, sa fille, Linda avait répondu : « Je ne suis pas une bonne mère maintenant. Je n’ose même pas réfléchir à comment j’étais alors. » Gemma n’avait pas non plus envie d’y penser. Elle avait eu une enfance heureuse, ce n’était pas la question. Mais dans tous ses souvenirs d’enfance, elle était avec son père, jamais avec sa mère. Puis, elle avait compris seule. Sa mère n’était pas une mère. Elle avait accepté d’enfanter pour faire plaisir à son mari. Mais elle n’avait pas ce que tout le monde appelle la fibre maternelle. Alors que son père avait été un père bien avant de la tenir pour la première fois dans ses bras.

Gemma s’assit sur la tombe. Le ciel était gris, reflétant, comme souvent à Fleetwood, son humeur. Depuis qu’elle était petite, il en était ainsi. cet été, il y avait eu peu de jours de soleil.

_ Hey Pops !

Elle avait gardé ce surnom alors qu’il datait de quand elle avait cinq ans. Pour Carl, il avait été hors de question de changer. Sa mère, en revanche, s’était toujours fait appeler Linda.

_ Je sais que je viens souvent, mais il y a un truc que j’arrive pas à te dire. je sais pas comment le dire. je sais que c’est con parce que t’es pas vraiment là. Mais j’ai peur que tu sois déçu.

Elle attendit. Souvent, elle imaginait que c’était une vrai discussion avec son père. Ils n’étaient pas dans le cimetière, mais dans la cuisine étriquée de la maison de Fleetwood, lui avait un thé, elle avec un café. Il avait un sourire aux lèvres, comme toujours depuis qu’elle le connaissait et d’aussi loin qu’elle se souvienne. Il l’encourageait à continuer, parce qu’il l’avait toujours compris et qu’il avait saisi à quel point la conversation allait être dure. Elle, elle tenait fermement sa tasse de café, tellement fort qu’elle avait peur que la tasse de brise. Mais elle tenait. Le liquide avait une odeur immonde, pourtant il était réconfortant.

_ Et la dernière chose que je veux c’est te décevoir. Je suis la fille de Carl Fitzgerald et je n’ai pas le droit de te décevoir ou de décevoir les gens de la ville. Toi même tu sais comment sont les gens, à Fleetwood.

Dans son imaginaire, son père prenait une expression inquiète et recouvrait la main de Gemma de la sienne. « Je suis là et tu peux tout me dire », voulait-il lui dire. Gemma pleurait, dans sa tête et dans la réalité. Elle essuya ses larmes et regarda le nom et le prénom de son père sur la tombe. Elle lui devait la vérité.

_ J’ai besoin de ton aide. Je ne sais pas quoi faire. Je… je suis enceinte, Pops.

Un bourrasque brutale lui fouetta le visage. Dans sa tête, son père lâchait brusquement sa main. Le parallèle était si frappant que Gemma se leva, tout aussi brutalement. Elle avait l’impression que son père la jugeait alors qu’il n’était même pas là pour l’aider. Pourquoi se permettait-il de …

Au loin, elle entendit une averse commencer, de l’autre côté de la ville .Puis un orage approchait, comme pour la prévenir. Son père aussi, avait toujours été en accord avec la météo de Fleetwood, un don de père en fille, apparemment. Quand elle sentit la première goutte tomber sur sa peau nue, elle sut que le temps ne ferait que se gâter. Elle sortit du cimetière en hâtant le pas, arrivant trempée chez elle. Enfin, chez son père. L’orage était au dessus de sa tête. Quelque chose lui dit qu’il n’allait pas partir de si tôt. Elle en profita pour se faire couler un long bain chaud, brûlant, même. Elle se débarrassa de ses habits, les essora rapidement dans le lavabo puis les lança dans le séchoir. Tant que l’orage n’était pas parti, elle ne voulait pas lancer quoi que ce soit d’électrique.

Elle entra dans le bain comme Cléopâtre dans le sien. Trempant juste un pied puis le reste de son corps. Elle poussa un soupir de soulagement puis se laissa aller dans la large baignoire familiale. Elle avait toujours aimé les bains et l’eau en général. La pluie, tempêtant toujours au dehors, ne l’embêtait pas. Elle aimait moins l’orage, mais avec le temps, quand elle se sentait vraiment mal, elle savait qu’un orage couvait. Elle sentit un coup de tonnerre éclater alors qu’elle caressait son petit ventre et sursauta. Sa grossesse ne se voyait pas encore. La question n’était pas là. Le fait est que son père la voyait et qu’il n’était pas heureux de la nouvelle. Il lui faisait comprendre.

Quand elle était plus jeune, elle avait connu un peu sa grand-mère paternelle, Buba. Elle lui racontait toujours des histoires de magie, de la magie de la terre, de la magie de l’air et de la magie de tout ce qu’elle pouvait inventer. Buba était une femme extraordinaire. Mais elle avait la même maladie que la mère de Gemma : elle n’avait pas la fibre maternelle. Elle avait penser la retrouver quand elle avait eu sa première petite fille, Gemma elle-même, mais non .Alors elle était partie. Carl ne savait pas où elle étit. Mais c’était sans doute pour cela qu’il avait toujours su quoi dire à sa fille pour qu’elle comprenne qu’elle n’était pas seule.

La pluie était toujours là, mais en fine gouttelettes. L’orage grondait toujours, comme un chien gardant un propriété et qui décèle un inconnu. Gemma était assise devant la cheminée, en train de regarder des photos de famille. Elle s’était prise de passion pour cela depuis un an. Alors que les clichés défilaient, de son père et elle, heureuse sur un toboggan, ou dans un parc, elle ne put s’empêcher de se dire qu’elle allait sans doute avoir la même vie, avec ce petit être qui grandissait en elle. Elle avait appris la nouvelle une semaine auparavant et sa première réaction avait été de rire. Elle n’avait pas eu de petit ami depuis des années et le premier soir où elle se permet de faire un peu n’importe quoi, elle tombe enceinte ? C’était une malédiction !

On frappa à la porte. Qui ? Il était assez tard dans la journée, surtout par une journée pluvieuse, les habitants de Fleetwood avaient pour habitude de rester chez eux. Elle ouvrit doucement la porte. Une petite silhouette se tenait sur le seuil. Elle la reconnut immédiatement.

_ Buba ?

_ Alors, ma chérie, on est enceinte et vient pas le dire ? Je crois que ton père l’a compris, lui.

Gemma fronça les sourcils. Buba montra le ciel et bientôt un éclair le zébra.

_ Carl, ce n’est pas une façon de parler à sa mère.

_ Buba ?

_ Allez, je vais tout te dire, c’est le moment. Et ensuite, on pourra voir ce qu’on va faire désormais. Tu me laisses entrer, non ?

Gemma s’effaça. Elle regarda dehors. Personne, rien. Elle regarda partout. Alors qu’elle fit un pas vers la maison, elle entendit le tonnerre gronder. Décidément, il n’avait rien de météorologique, cet orage.

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En plus : J’ai bien aimé mon histoire du jour, j’étais bien inspirée.

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