NaNo Prompts 2022 – Jour 25

Chiara savait qu’elle n’aurait pas du venir à cette manifestation. Premièrement, elle n’était pas du genre militante. Deuxièmement, elle souffrait quelque peu d’agoraphobie. Troisièmement, on était en décembre et il faisait froid. Elle continua à faire le décompte dans sa tête de toutes les raisons pour lesquelles elle n’aurait pas du venir. Mais c’était trop tard, elle était là, entre un grand mec baraqué et Zina, sa meilleure amie. La foule était compacte, dense. Impossible de bouger. Avec le grand type à ôté d’elle, elle avait l’impression d’être dans une cave, sans air, sans fenêtre, sans lumière. Elle posa doucement sa main sur sa poitrine. Non, elle n’irait pas mieux. Zina, prise dans l’effervescence de la manifestation, ne voyait pas que sa meilleure amie était sur le point de faire un malaise. Chiara se força à respirer profondément puis expirer. Elle répéta le schéma plusieurs fois, histoire de bien de rassurer. Mais qu’y a-t-il de rassurant dans le fait d’être ballottée dans tous les sens, en plein centre de Paris, en plein milieu d’un après-midi de décembre ? Rien.

Au détour d’une rue, elle profita d’un porche pour se détacher du groupe. La marche allait, comme toujours vers les Champs Élysées. Déjà, elle n’avait aucune envie d’y aller en pleine période de fêtes de fin d’année. Mais alors avec la manifestation, encore moins. Elle sortit son téléphone et envoya un simple texto à Zina : J’ai quitté la marche. Désolée. On se retrouve chez moi ce soir ? Elle savait parfaitement que sa meilleure amie n’aurait pas le message avant quelques dizaines de minutes, plusieurs heures peut-être. Zina était militante, Chiara l’admirait pour cela. Elle n’avait pas envie de faire entendre sa voix, encore moins sur ce type de sujet. Elle laissa passer le cortège dans lequel se mêlait des drapeaux LGBT, des personnages habillés dans des tenues improbables et des personnes qu’elle aurait qualifiées de normales.

La normalité. Voilà ce à quoi aspirait désespérément Chiara. Depuis toujours. Mais pourtant, elle savait qu’elle ne l’était pas. Normale. Elle le savait depuis l’école où elle passait son temps à jouer au foot avec les garçons. À l’époque, déjà, on lui disait qu’elle n’était pas assez féminine. Mais elle n’aimait pas tout ce qui touchait aux femmes. Elle ne s’était jamais maquillée, même pas pour faire plaisir à sa mère. Non, elle n’était pas ce genre de filles. Quand elle était rentrée au collège, elle avait compris qu’elle était attirée par les filles. Les filles, puis les femmes. Elle n’était pas ce genre de fille à vouloir un copain à tout prix. Elle voulait juste continuait la vie qu’elle avait en primaire. Et elle l’avait fait. Elle était la seule fille de sa classe à faire plus d’activité sportive que les autres. Elle jouait dans l’équipe de foot, l’équipe de volley et l’équipe de hand – elle était trop petite pour le basket, ce qui ne l’avait pas empêché de tenter. Elle s’habillait en jogging et en basket quand les filles de son âge commençaient à mettre des talons et des jupes de plus en plus courtes.

Ce fut au lycée que cela commença à vraiment poser problème. Elle se faisait traiter de gouine, de lesbos, d’anormale. Et ce fut à partir de là qu’elle commença à vouloir devenir normale. Elle fit des efforts pour porter des jupes, se maquiller et paraître comme toutes les autres. Le fait est qu’elle n’était pas comme les autres. Pendant quelques mois, durant son année de première, elle eut même un petit copain. Une voix dans sa tête lui criait qu’elle n’était pas normale et qu’il fallait qu’elle arrête de faire comme si. Elle n’était qu’un clone de la normalité et ce qu’elle ressentait quand elle voyait une fille magnifique passer à côté d’elle, comme si son cœur battait la chamade entre ses cuisses, c’était ça, sa normalité.

Quand elle était arrivée à Paris, après le bac, elle avait rencontré Zina à la Sorbonne, le premier jour. Elles avaient sympathisé et c’était elle qui lui avait parlé de la communauté LGBT. Zina était bi et fière de l’être et elle aurait fait n’importe quoi pour que les gens arrêtent d’avoir ce rictus contrit quand elle parlait de ses préférences sexuelles. Pour tout dire, Chiara aussi. Non pas que ça ne l’excitait pas – la première fois que Zina lui avait parlé de sa copine du moment et de tout e qu’elle faisaient au lit, elle avait du rougir comme pas possible tellement elle était excitée – mais cela lui rappelait qu’elle ne pourrait jamais avoir Zina. Cette dernière lui avait déjà demandé si elle avait un copain, si elle était en crush sur un mec… jamais sur une fille. Alors Chiara se disait qu’elle ne mentait pas vraiment. Elle avait fait semblant de se forer à aller à cette manifestation. Au fond d’elle, elle savait qu’elle devrait l’ouvrir plus sur ces sujets. Mais elle n’était pas out, pour personne. Elle ne savait même pas comment faire pour être out. Le coming out, cette étape, apparemment obligatoire pour faire vraiment partie de la communauté. Chiara ne comprenait pas l’importance de cela. Un jour, elle avait demandé à Zina, pourquoi il fallait que tout le monde le sache. Sa meilleure amie avait répondu, le plus naturellement du monde « sinon, on ne peut pas savoir que tu fais partie des nôtres. Laisse tomber, tu ne peux pas comprendre ». Si seulement Zina savait…

Chiara passa la porte de son appartement et se laissa tomber sur son canapé. Elle avait la chance d’avoir un deux pièces en plein cœur de Paris. Son entrée donnait sur une pièce de vie avec un coin cuisine et elle avait une chambre en plus. Elle adorait son appartement. Surtout parce qu’elle pouvait recevoir des gens – en l’occurrence Zina ou bien ses parents ou sa sœur – sans qu’ils aient à dormir avec elle ou sur un matelas gonflable par terre. Elle avait trouvé l’appartement assez facilement. Le problème, c’était le loyer. Elle travaillait comme serveuse/hôtesse dans une boite de nuit le jeudi, vendredi et samedi soir. En plus, elle aidait des gamins à faire leur devoir. Depuis quelques temps, elle avait aussi trouvé un job dont elle n’avait parlé à personne : elle avait trouvé un job d’écrivain. Enfin pas exactement. Elle avait, par le biais de personnes à la Sorbonne, eu vent ud fait qu’elle savait parfaitement s’adapter à tel ou tel style d’écriture. Ces personnes – des professeurs – l’avaient mise en relation avec des personnes dans le monde de l’édition. Et elle était devenu écrivain pour d’autres écrivains. Elle avait entendu parler de cette pratique – le ghostwriting en anglais – mais elle ne pensait pas qu’elle était utilisée en France. Quand elle avait rencontré son premier client, elle était tombée des nues. Lui, cet écrivain adulé de tous, qui parlait de ses livres comme s’ils les avait vraiment écrit n’était qu’un… qu’un mensonge ? Même elle s’était fait avoir.

J’arrive.

Le vibreur de son téléphone la réveilla. Elle vit le message de Zina qui venait d’arriver et rangea son appartement. Zina venait régulièrement, elle savait que ce n’était pas toujours parfaitement clean mais il suffisait qu’elle ne vienne plus pendant un temps et Chiara ne nettoyait plus rien. Zina connaissait le code et elle entra dans l’appartement comme si c’était le sien – ce qui était facilité par le fait que ce soit elle qui possède la seconde clé que l’agence lui avait remise.

Zina s’assit sur le canapé et balança ses chaussures à travers la pièce. Chiara savait qu’elle allait rester dormir. Elle n’aimait pas que Zina balance ses chaussures mais qui était-elle pour dire quoi que ce soit. Elle amassa ces dernières et les remis dans l’entrée, rangées, à leur place. Sans rien dire de plus, elle fit bouillir de l’eau et versa le contenu prêt dans une tasse qu’elle tendit à Zina.

_ Merci, t’es vraiment la meilleure.

Chiara sourit à cette remarque et s’assit en face de son amie. Elle souffla sur sa propre tasse de thé. Fruit rouges, décidément, c’était Noël partout.

_ C’était génial, t’aurais dû rester jusqu’à la fin. On a allumer un feu sur la place de l’étoile.

Chiara hocha la tête en sirotant son thé. Le feu sur la place de l’étoile était un grand classique, rien qu’elle n’avait pas déjà vu sur internet. Cela allait sans doute passer aux infos ce soir. Elle avait aussi la chance d’avoir une télé. Elle la regardait souvent, en travaillant ou, parfois, pour regarder des émissions débiles qui n’avaient qu’un mérite : lui déconnecter le cerveau.

_ Merci d’être venue, quand même. La prochaine fois, tu finiras avec nous ?

_ Je ne sais pas, on verra.

_ Chiara, tu sais que c’est important pour moi. Et j’aimerai partager ça avec toi. Je sais que je ne le partagerai jamais vraiment mais au moins les marches, tu pourrais faire un effort.

_ J’ai fait un effort, protesta Chiara.

Et elle savait qu’elle avait raison. Et que Zina le savait. Cette dernière posa sa tasse fumante sur la table basse – sans dessous de verre, fulmina Chiara – et elle entreprit de faire les cent pas dans l’appartement. Elle le faisait souvent quand elles travaillaient sur un projet ensemble ou juste quand elle s’ennuyait. Zina avait une capacité de concentration et de rétention des informations qui était assez faible, depuis toujours. Parfois, Chiara se demandait comment elle avait fait pour entrer à la Sorbonne.

_ Tu bosses ce soir ?

_ Oui, d’ailleurs, je ne vais pas tarder à me préparer.

_ Tu rentres à quelle heure ?

_ Je sais pas. Quatre heures, sans doute. Cinq peut-être. On est samedi.

_ Pas après ?

_ Peut-être, je sais pas, Zina.

_ Tu crois que je pourrais venir ?

_ Tu peux venir dans la boite si tu veux. Mais je n’aurais pas le droit de te servir.

_ Ah ?

_ Oui, je te l’ai déjà expliqué. C’est pour éviter que l’on fasse des ristournes à nos amis.

_ Ah.

Elle retomba sur le canapé et attrapa sa tasse. Elle avait laissé un rond sur la table basse.

Sept heures et demie. Sans doute presque l’heure à laquelle Zina allait se réveiller. Chiara entra tout doucement dans l’appartement pour ne trouver personne sur le canapé. Elle fit tout de même pas de bruit, elle avait vu les chaussures de Zina dans l’entrée, là où elle-même les avait laissées. La lumière du jour filtrait de sa chambre. Étrange, elle avait fermé les volet les veille, justement pour ne pas avoir à le faire ce matin. Heureusement que la boite de nuit dans laquelle elle travaillait les laisser utiliser la petite salle de bain à l’arrière. Elle n’avait pas à se démaquiller ou bien à se doucher, elle avait déjà fait le nécessaire au travail. Elle poussa la porte pour tomber sur Zina, assise en tailleur sur le lit. Elle avait une drôle de tête. Chiara posa ses affaires et avança mais elle vit un mouvement de recul de la part de se meilleure amie. Elle fronça les sourcils, cherchant des indices dans la chambre qui auraient pu lui dire pourquoi sa meilleure amie semblait contrariée.

Cette dernière brandit un petit cahier et demanda :

_ Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Chiara regarda le cahier. Une vague de colère s’empara d’elle. Ce cahier, il était caché dans une valise qui était cachée au fond en dessous de son lit. Pour le trouver, il fallait chercher.

_ Tu as fouillé mes affaires ?

_ J’avais besoin d’une valise. Celle-là était parfaite. Je ne pensais pas que je trouverais ça dedans.

Chiara attrapa le cahier et le ferma.

_ C’est rien.

_ Rien ? Mais tu dis que tu… tu dis que tu ressens des choses… des choses pour moi…

Des larmes coulaient le long des joues de son amie. La cœur de Chiara se serra. Elle ne voulait pas tout avouer mais quelle autre solution avait-elle ? « Hey, oui, on se connaît depuis trois ans et j suis amoureuse de toi depuis deux ans et demi, mais je suis toujours la même », cela ne semblai pas très juste, même uniquement à le dire dans sa tête.

_ Laisse tomber, Zina. Ce n’est pas… ce n’est pas ce que tu crois.

_ J’ai trouvé ça assez crédible. C’est vrai ?

_ Non.

_ Alors c’est quoi ?

_ Juste… un projet sur lequel je travaille. Rien de réel.

Zina se leva et se planta devant Chiara. Son mascara avait coulé et elle avait des yeux de quelqu’un qui n’a pas dormi. Elle n’avait sans doute pas dormi.

_ Quand tu seras prête à me dire la vérité, peut-être que je voudrais bien l’entendre.

Elle entendit les pas de Zina s’échapper dans l’autre pièce, la fermeture éclair de ses chaussures, le bruit caractéristique des lacets que l’on serre, la clé que l’on pose sur la table puis la porte que l’on claque. Un frisson parcourut Chiara. En s’allongeant, la seule chose qui lui vint à l’esprit fut « merde ».

Total des mots pour la journée : 2175

Total des mots pour le NaNo : 44 181

En pus : J’ai bien aimé l’histoire du jour, ça aide , à écrire beaucoup. Peut-être bien que j’aurais fini le NaNo avant la fin Novembre. Dans tous les cas, les Prompts continueront. Mais je ne vais sans doute pas aller tellement plus loin que 50 000.

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