NaNo Prompts 2022 – Jour 26

U an ? Deux, peut-être. Ulysse n’avait jamais eu de bonnes relations avec son père. Premièrement, ce dernier avait trouvé que l’appeler Ulysse était une bonne idée. Garçonnet, ça passait encore, il ne comprenait pas la réactions des adultes qui disaient souvent « Ulysse ? Ah, c’est original ». Pour sûr. C’était une des fierté du petit garçon qu’il était. Personne ne s’appelait comme lui à l’école et, mieux encore, les maîtresses n’avaient jamais de problèmes pour retenir son prénom. Il était sûr face à deux Martin et trois Nicolas, Ulysse, ça en jetait comme prénom.

Avec l’arrivée au collège et l’apprentissage de la mythologie grecque, il avait compris, très rapidement que ce n’était pas un cadeau. Pas du tout, même. Un héros de la mythologie, voilà comment on se moquait de lui. Ulysse n’avait rien d’un héros, il était juste un adolescent normal, qui n’avait jamais rien demandé à personne. Un mec qui faisait ses affaires dans son coin, qui pouvait passer des week-ends entiers à peindre des figurines Warhammer ou bien à ranger pour la quinzième fois sa collection de cartes Magic. Il était d’une nature profondément calme et ce, depuis l’enfance. Il avait juste eu cette période pendant laquelle il avait aimé l’attention que lui amenait son prénom mais c’était restée une période restreinte. Il était réservé, avait de bons résultats. Son père n’en demandait pas plus.

Après son bac, Ulysse était allé étudier à Polytechnique Lille, pour parti du joug paternel. Il voyait dans les yeux de son père toute la douleur contenue depuis des années. Ulysse n’avait jamais connu sa mère, elle était décédée en lui donnant la vie. Un accouchement qui tourne mal, très mal, le pire possible. Même si lui savait qu’il n’était pas responsable, son père le lui avait aussi répété, il le voyait dans les yeux de son géniteur. Il pensait différemment. Ulysse aussi, avait pensé souvent que si sa mère n’était pas tombée enceinte, elle ne serait jamais morte. Pendant longtemps, il avait porté le fardeau de ce décès en lui, sans jamais pouvoir vraiment s’en débarrasser. Un jour, il était allé voir le médecin qui avait aidé sa mère, ce jour-là. Il lui avait expliqué que ce n’était jamais la faute de l’enfant. Dans le cas de sa mère, elle avait perdu énormément de sang lors de l’accouchement et en plus, une infection en avait profité pour se frayer un chemin dans son organisme. Oui, même à l’hôpital, tout n’est jamais parfait. Diminuée par la grossesse et par son accouchement compliqué, la mère d’Ulysse était décédée un mois après l’avoir mis au monde, des suite d’une infection que personne n’avait su soigner. Elle avait était prise à temps, avait dit le docteur, mais on savait déjà qu’on ne pourrait rien faire pour elle. Un cas sur dix mille. Il suffisait d’un. Et c’était tombée sur Barbara, la mère d’Ulysse. Il avait tenté d’en parler avec son père. Lui devait aussi savoir pour cette histoire d’infection. Grégoire lui avait lancé le dossier médical de sa mère à la figure en lui disant qu’il savait, que parler d’elle ne la ferait pas revivre.

Après ses études, Ulysse avait trouvé un bon poste dans une banque et y travaillait encore. Deux jours auparavant, il avait reçu un coup de téléphone du même médecin qui avait vu sa mère partir. Le docteur Henry avait sensiblement le même âge que les parents d’Ulysse et il était encore en train d’exercer.

_ Ulysse ? Il faut que tu viennes, c’est par rapport à ton père. Je pense que tu devrais venir le voir avant… Viens, ça lui fera plaisir.

Il avait développé un genre de substitut affectif en la personne du Docteur Henry. Quand il rentrait à Lyon, il allait le voir, dînait avec lui, lui demandait des nouvelles de sa femme et de ses enfants. Jamais ils ne parlaient de sa mère à lui, le Docteur Henry avait bien compris que ce n’était pas la peine d’épiloguer. En un sens, Grégoire avait raison, ça ne faisait pas revenir à la vie sa mère. Elle ne reviendrai jamais et il ne la connaîtrait jamais. Le Docteur Henry lui demandait des nouvelles de son père, Ulysse répondait toujours succinctement. Il ne parlait pas à son père, sauf à Noël où il faisait un effort pour venir de Lille passer quelques jours avec son paternel.

Sauf donc les deux – ou peut-être bien trois – derniers Noëls. Ils les avait passé à Lille avec Olga, sa compagne depuis quatre ans. Était-ce donc depuis autre ans qu’il n’était pas venu voir son père ? Non, il lui avait présenté Olga. Mais quand ? Impossible de s’en souvenir. Il en avait parlé à cette dernière le soir de l’appel du Docteur Henry et elle lui avait dit que s’il n’y allait pas et que son père mourrait, il s’en voudrait toute sa vie. Elle savait de quoi elle parlait. Elle avait fui son pays sans dire au revoir à ses parents – elle avait fugué en réalité – et elle avait appris peu après son arrivée en France qu’ils étaient décédés dans un attentat qui avait eu lieu deux jours après qu’elle a quitté la Pologne. Elle lui avait dit qu’elle s’en voudrait toute sa vie et que, même si elle avait appris à vivre avec ça, elle aurait voulu que les derniers mots qu’elle avait eu avec ses parents soient autres que des mots de colère.

_ Vas-y. Pas pour lui. Pour toi. Tu veux que je vienne ?

_ Non, je pense qu’il ne… je pense que je dois y aller seul.

_ Dis lui que tu l’aimes.

Dans le train pour aller à Lyon, Ulysse avait repassé en boucle cette phrase dans sa tête. Aimait-il son père ? Aimait-il son père au point de le lui dire ? Aimait-il assez son père pour se dévoiler ainsi ? Il n’en était pas certain. Il savait qu’il était « obligé » d’aimer sa famille mais il n’avait jamais ressenti de forte émotion envers celui qui, mine de rien, lui avait donné la vie. Au moins autant que sa mère. Du moins, il avait contribué. Sinon, il n’y aurait pas d’Ulysse.

Il passa la porte d’entrée de l’hôpital. Le froid du dehors fit place à un cocon de chaleur aux goûts de désinfectant. L’odeur de propre artificiel ne lui plaisait pas. Il n’avait jamais aimé les hôpitaux – qui les aime ? Il était convaincu que, durant le premiers mois de sa vie, il avait du être présent un paquet de fois, pour voir sa mère – ou plutôt pour que sa mère le voie. Inconsciemment, cette odeur était restée ancrée en lui, comme un tatouage indélébile dans la palette des senteurs de la vie. Et il n’avait jamais oublié. Nourrisson, c’était sans doute ses premiers souvenirs. Ce blanc trop blanc et ce propre trop propre.

_ Bonjour, je viens voir Grégoire Caduet.

_ Vous êtes de la famille ?

Il se retint de soupirer. Il ne ressemblait pas à son père, et c’était flagrant avec les années. Son père était petit et gros. Lui était svelte et élancé. Il avait, lui avait-on toujours dit, hérité des traits fins et délicats de sa mère. Il était son portrait craché, lui avait un jour dit sa grand-mère maternelle avant qu’elle ne parte, elle aussi.

_ Je suis son fils.

La secrétaire – qui avait aussi une blouse d’infirmière – pinça les lèvres et lui demanda d’apposer sa signature sur le registre. Il s’exécuta et elle lui indiqua la chambre. Il attendit un instant, pensant qu’elle allait le précéder. Mais non, elle lui lança un regard interrogateur auquel il répondit par un faible « merci ». Il avança dans les couloirs et arriva devant la chambre. Son père dormait, en tout cas, il avait les yeux fermés.

_ Ulysse, tu es venu !

Le Docteur Henry le prit dans ses bras comme un père l’aurait fait.

_ Il se repose, dit-il en lançant un regard à Grégoire. Il a eu une dure matinée, mais tu peux attendre dans la chambre, il ne devrait pas tarder à se réveiller, je pense. Oui, trois heures en général, c’est son heure.

Ulysse attira le Docteur à part et lui demanda :

_ Il a quoi, au juste ?

Pour la première fois depuis qu’il le connaissait, le Docteur Henry se pinça la lèvre, comme l’infirmière un peu plus tôt. Ce genre de réaction, ce n’est jamais bon signe, pensa immédiatement Ulysse.

_ Une infection qui a empiré plus vite qu’on ne le pensait.

_ Une infection ? Comme…

Les mots se coincèrent dans sa gorge. Quelque chose fleurit en lui et il vit, au regard du médecin en qui il avait le plus confiance, qu’il avait vu juste. C’était bien la première fois de sa vie qu’il aurait aimé avoir tort, se tromper. Dommage pour lui, il avait toujours été très perspicace.

_ L’infection… on pense que c’est un parasite, qui vit en lui depuis des années, des dizaines d’années.

_ Un parasite ?

_ Oui… Pour être honnête les cas comme celui de ton père son rares Ulysse et on ne peut faire que des suppositions…

_ Et quelles sont-elles ?

_ Nous pensons que… que lors de la reproduction, un bout du parasite est venu se loger chez ta mère. Ce qui a expliqué la grossesse… compliquée qu’elle a eue. Puis l’hémorragie pendant l’accouchement. Et enfin, l’infection. Elle n’a pas supporté ce parasite. Pour ton père, il vit avec depuis des années, peut-être même depuis qu’il est né, lui aussi. Il sait vivre avec. Mais, comme tous les parasites, il est en train de prendre le contrôle et de prendre le pouvoir sur son hôte.

Ulysse cligna des yeux.

_ Vous voulez dire que c’est peut-être… héréditaire ?

_ Nous n’en savons rien. Il faudrait… je sais que ce n’est pas le bon moment mais il faudrait que tu passes des tests. Pour savoir si toi aussi…

Le Docteur Henry eut le bon ton de ne pas continuer. Ulysse se tourna vers son père. Ce dernier était encore endormi.

_ Il sait ?

_ Oui.

_ Il l’a pris comment ?

_ Mal, comme tu peux t’en douter. Il ne voulait pas que je te le dise.

_ Pourquoi ?

_ Il pense que si tu es mis au courant, tu lui en voudras. Encore plus que maintenant.

Ulysse soupira. C’était bien son père, ça.

Les yeux du paternel s’ouvrirent. Ulysse se leva doucement et se posta à côté du lit plus blanc que blanc. Immaculé.

_ Ulysse ?

_ Salut, P’pa.

_ Merde, qu’est-ce que tu fous là ?

_ Je m’ennuyais alors je suis venu, et je t’ai trouvé.

_ Il t’a tout dit.

_ Ouep.

Une larme coula le long du visage du vieil homme.

_ Tu m’en veux ?

_ J’en sais rien.

Ulysse prit la main de son père et la serra fort.

_ Mais je suis là. Et je ne pars pas avant toi. Ok ?

Son père eut un fin sourire.

Deux jours plus tard, dans la nuit de samedi à dimanche, son père s’éteignit tranquillement, dans son sommeil. Contrairement à ce qu’avait pensé Ulysse, il ne ressentit aucune peine. Juste un soulagement. Son père ne souffrait plus. Et surtout, il avait retrouvé, là haut, la femme de sa vie.

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En plus : J’ai presque deux jours d’avance – on ne chasse définitivement pas le naturel – et j’avoue que je suis plutôt contente de mon histoire du jour. Pas de quoi faire un roman, mais c’était sympa à écrire.

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